Madame, Monsieur,
Les crises sanitaires graves que nous affrontons et les politiques de la majorité démantelant notre système de soins et notre protection sociale solidaire nécessitent une réponse à la hauteur. Cela implique rigueur, travail, expertise, notamment en santé publique et en histoire des luttes des malades, détermination, principes clairs, collaboration avec la société civile, notamment les associations de malades et d’usagers du système de soins.
Depuis deux décennies, l’hôpital public et les politiques de santé sont mis à mal par les gouvernements successifs, de droite comme de gauche. Depuis 2017, l’action d’Emmanuel Macron a accélérée ce démantèlement de notre modèle social. Elle a renforcé le pouvoir des firmes pharmaceutiques, et n’a tiré aucune conséquence de la crise sanitaire. La faiblesse du travail des élu-es de la majorité et des Républicains sur ces questions pendant cette période a été criante. Quant aux élu-es d’extrême droite, nous n’ en attendons rien, car leurs valeurs ne sont pas compatibles avec la santé publique.
En revanche, nous portions des espoirs dans les élu-es de gauche, même dans l’opposition, car certains points de vos programmes pour la présidentielle et pour les législatives sur la santé nous paraissaient cohérents et ambitieux. Beaucoup d’entre vous nous connaissent et ont déjà travaillé avec nous. Nous n’avons cessé de répondre à vos sollicitations les deux premières années de la crise sanitaire, par exemple pour nourrir vos interventions et inspirer vos programmes, comme nous avons également pu le faire avec des élu-es d’autres tendances politiques. Nous continuerons à assurer ce travail avec tous les élu-es qui le souhaitent, à part avec le Rassemblement national et le reste de ‘extrême droite.
Pourtant, et en particulier depuis les élections, nous sommes nombreux-ses à ne pas comprendre ce que fait la NUPES sur la santé, voire à nous désespérer d’initiatives et de sorties intempestives, à contretemps ou passant à côté des enjeux. Nous nous en sommes récemment ému-es sur les réseaux sociaux. Suite à la publication d‘un fil sur Twitter témoignant de cette incompréhension de votre action, nous avons reçu énormément de messages de personnes, responsables associatifs, chercheurs, scientifiques, journalistes, universitaires qui nous ont remercié d’avoir pris la parole pour exprimer ce malaise.
Quelques exemples :
- Depuis début 2020, une crise sanitaire sans précédent, accompagnée de ruptures de médicaments essentiels, a montré la fragilité de notre modèle pharmaceutique. Pourtant, tout au long des campagnes électorales, aucun parti de gauche n’a fait de la santé un axe majeur de sa communication. En dehors de quelques interventions médiatiques sur l’état déplorable des hôpitaux, et alors même que les programmes de partis de gauche, que nous avons étudiés et classés selon leur intérêt pour les questions de santé, jamais vous n’avez mis à l’agenda médiatique les pénuries de médicaments essentiels, les prix prohibitifs des traitements qui ruinent notre système de santé. Comment l’expliquer alors que la santé est dans tous les sondages une préoccupation prioritaire des électeurs ?
- Vous avez mis de longues semaines à réagir à la crise de la variole du singe, malgré les relances répétées de la société civile et en particulier des associations de lutte contre le VIH/sida.
- Dans le cadre des débats sur le budget de la Sécurité sociale (PLFSS), des député-es LFI ont défendu un amendement visant à restreindre la téléconsultation, au mépris des conséquences dramatiques que cela pourrait avoir sur les malades. Nous avons dû mettre de l’énergie à produire une tribune pour rappeler ce que nous n’imaginions pas avoir à faire auprès de la gauche en 2022 : aucune mesure concernant la santé ne peut être prise sans les premiers concernés. Vous n’avez pas jugé bon de consulter ces derniers.
- Aucun d’entre vous n’a réagi en juillet quand nous avons alerté sur les dangers des réinfections au COVID-19. Au contraire, la seule réponse que nous avons eue fut celle de l’équipe d’une députée avec qui nous avions déjà travaillé, et qui nous disait qu’elle devait « expertiser » les informations que nous lui transmettions, pourtant tirées de travaux d’éminents épidémiologistes. Évidemment, aucun retour ne nous a ensuite été fait. Quatre mois plus tard, le travail parlementaire sur cet enjeu est invisible et une étude réalisée à grande échelle publiée dans la revue Nature confirme nos alertes montrant les ravages causés par les réinfections. Dans notre communiqué du 14 juillet sur la question, nous sommions les responsables politiques d’en tirer les conséquences.
- La seule niche parlementaire de LFI consacrée à la santé est dédiée… à la très populiste mesure sur la réintégration des soignants non-vaccinés. Cette question est avant tout une question politique. Au-delà de savoir ce que l’on pense sur le fond de cette mesure, le problème est d’ériger cette question en enjeu principal, à la faveur d’une poignée de soignants (700 en juillet selon les médias), et au mépris de ce que demandent de nombreuses associations d’usagers et des soignants eux-mêmes. Pire, le 9 novembre, une promotrice de cette mesure affirmait même que le Haute Autorité de Santé (HAS) avait validé cette mesure, ce qui était purement et simplement un détournement de l’avis, comme l’a expliqué Libération/CheckNews. Que l’on soit pour ou contre cette mesure, comment accepter que le débat public se fonde sur de tels détournements ?
- Le 11 novembre, une députée EELV, cadre du parti exposée médiatiquement, mais peu visible sur les questions de santé d’une façon générale, affirmait sur Twitter qu’elle n’était pas allée au cinéma depuis « la fin du COVID », proclamant ainsi la fin d’une maladie, qui, pourtant, avait tué la semaine précédente 377 personnes dans les seuls hôpitaux, et alors même que l’étude publiée dans Nature sur la gravité des réinfections confirmait l’urgence de réfléchir des mesures à mettre en place. Pire, parler de la fin du COVID, c’est omettre que selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) « environ 10 % à 20 % des personnes qui développent le COVID-19 éprouvent par la suite divers effets à moyen et à long terme. On parle alors pour ces effets à moyen et à long terme d’affection post-COVID-19 ou de « COVID-19 de longue durée ». Plus généralement, aucun parti de gauche n’affiche la moindre solidarité envers les personnes immunodéprimées qui doivent s’isoler par elles-mêmes du fait de l’abandon des gestes-barrières face au COVID-19.
- Le 10 novembre, un cadre et député du PCF mobilisait l’attention médiatique en se laissant pousser la moustache pour inciter les hommes à se faire dépister de cancers. Ce même député avait promu tout au long de sa campagne le vin et la viande rouge, alors même que l’OMS appelle à en limiter la promotion dans le cadre de la lutte contre le cancer. La santé publique exige rigueur et cohérence.
Le problème de ces inepties qui s’accumulent depuis des semaines, voire des mois, est qu’elles canalisent l’énergie et l’attention des élu-e-s et des médias alors que les urgences en matière de santé sont immenses. Elles empêchent que les priorités et les solutions soient débattues de façon constructive. Elles canalisent également notre énergie car nous devons limiter les dégâts de certaines sorties irrationnelles, et c’est tout aussi problématique.
Alors que devez-vous faire ?
Tout d’abord, vous devez réfléchir à d’autres moyens de communiquer et d’agir. L’hôpital traverse une crise majeure, les alertes se multiplient. Le président du Conseil consultatif national d’éthique (CCNE), Jean-François Delfraissy, a eu des mots forts la semaine dernière dans Le Parisien : « Nous sommes en train de déraper ». Autre question qui devrait être centrale dans vos interventions médiatiques et votre action politique : l’augmentation des déserts médicaux et la médecine de ville qui souffre également très fortement.
Bien sûr, la NUPES se mobilise sur l’hôpital et sur la santé dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), à travers des propositions d’amendements et des prises de parole en commission des affaires sociales et dans l’hémicycle. Bien sûr, nous savons que la marge de manœuvre restante est réduite, d’autant plus que l’exécutif a procédé jusqu’ici par plusieurs 49.3.
Mais c’est bien pour cela qu’il est essentiel qu’une mobilisation générale sur la santé des 131 élu-es NUPES à travers d’autres types d’actions ait lieu. Pas forcément de tou·tes, car les sujets prioritaires sont nombreux, mais au moins de façon plus qualitative, constante et conséquente que maintenant, où les élu-e-s qui s’expriment sur ce sujet se comptent sur les doigts d’une main. Après 3 ans de pandémie, l’état de l’hôpital, des urgences, des services de pédiatrie (saturés par une épidémie de bronchiolite prévisible au point que des nourrissons de la région parisienne soient transférés en province) devrait occuper une grande partie de l’espace médiatique, il devrait être clair pour tout le monde que sans système de santé fort, le reste des activités économiques, sociales, culturelles, peuvent être paralysées. Il devrait également être compris que l’état de résignation ne peut être satisfaisant. Si nous acceptons l’inacceptable par le silence ou en se contentant de réponses approximatives, nous pouvons dire adieu au droit fondamental à la santé et à notre système de santé solidaire.
D’autre part, vous devez vous former en urgence aux enjeux de santé publique et de démocratie sanitaire. Oui, nous avons besoin de soignant-es, en nombre, et de moyens, dans les hôpitaux, les EHPAD, aux urgences, dans les centres de santé, dans les déserts médicaux, etc., et nous sommes solidaires de leur mobilisation de façon inconditionnelle depuis début 2019. Sans soignant-e, pas de soins possibles. Mais les personnes vivant avec des pathologies doivent être écoutées et devenir vos interlocuteurs autant que les soignant-es. Elles développent expérience et expertise sur leur vécu de la maladie et sont partie prenante des soins. En prévention aussi, le rôle des usager-e-s est primordial : comprendre pourquoi et comment prévenir les risques, recourir à des tests, diagnostics, traitements prophylactiques post-expositions etc. L’amendement sur la téléconsultation a été le révélateur d’une vision bien trop verticale du soin, une vision dépassée depuis longtemps.
Par ailleurs, les atteintes à l’environnement, l’émergence croissante de nouvelles pandémies, les multirésistances aux antibiotiques et l’augmentation des maladies non transmissibles vont avoir pour conséquences des besoins plus importants en santé et en produits de santé adaptés. Or, nous ne disposons pas d’un système de recherche et développement, et d’une production pharmaceutique qui permette de répondre à ces défis. En juillet 2022, l’exécutif a mis en place un comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (COVARS). Jusqu’ici qu’a fait ce comité ? Avez-vous posé des questions au gouvernement sur ce sujet ?
De plus, les alertes se multiplient concernant les risques de ruptures en médicaments essentiels dans les prochaines semaines. Ces ruptures qui risquent de nous toucher dramatiquement sont notamment liées à la hausse du prix de l’énergie, à l’augmentation de la demande mondiale, à l’ultra-concentration de la fabrication de ces produits et au contexte géopolitique. Ce contexte international (la Chine, principal fournisseur de principes actifs, pourrait en faire un levier de pression diplomatique) et l’extrême concentration de la production pharmaceutique (parfois un seul producteur mondial pour un médicament essentiel) nous mettent face à ces risques majeurs, face auxquels nous n’aurons pas de roue de secours.
Le risque est grand de ne plus pouvoir opérer car tel ou tel antibiotique n’est plus disponible, ou de devoir utiliser des sous-standards comme pendant la première vague COVID, de faire les fonds de tiroir des hôpitaux ou de siphonner les perfusions des patient-es pour économiser quelques millilitres. Chaque semaine qui passe, une à deux nouvelles annonces de pénuries ont lieu. Des solutions existent, comme la production publique de médicaments. Une partie de la gauche soutient cette demande, mais la porter tous les deux ans à travers une proposition de loi (ce que nous saluons, bien sûr) n’est pas suffisant. Cette demande devrait être martelée quasi-quotidiennement. Personne ne devrait se satisfaire de réponses vagues ou du silence de l’exécutif. Car les conséquences des ruptures sont dramatiques. Elles nuisent à la qualité de vie, mettent nos vies en danger et réduisent les chances de certains malades de guérir.
Contrairement aux pénuries et ruptures du printemps 2020, qui étaient conjoncturelles, celles qui s’annoncent sont structurelles et plus nous attendons, plus la marge de manœuvre pour agir sera limitée. On parle de ne plus pouvoir se soigner, avec des médicaments que l’on sait pourtant synthétiser, pour certains d’entre eux depuis le dix-neuvième siècle.
Pour conclure, élaborer des politiques de santé sans interagir avec les associations de patients est une ineptie. Et cela vaut pour toutes les mesures et débats qui ont un impact sur les actions de prévention, de dépistage ou de prise en charge. Nous trouvons désespérant d’avoir à le rappeler à des responsables de gauche en 2022. Faut-il en revenir à des actions d’interpellation publique comme en faisait Act Up-Paris ? Bon nombre d’entre vous ont pleuré devant le film 120 Battements par minutes, qui en raconte une histoire. Mais qu’en avez-vous tiré politiquement ? Êtes-vous à la hauteur de cette histoire quand vous piétinez à ce point la démocratie sanitaire ? Les élu-e-s actuel-les doivent bien comprendre que la société civile est essentielle dans l’élaboration des politiques publiques de santé. Et ce n’est ni accessoire ni un détail.
Nous avons besoin d’une opposition de gauche à la hauteur des enjeux : qui respecte les luttes en santé, qui s’appuie sur la société civile, qui est réactive tout en expertisant les dossiers et ne les abandonne pas à la majorité ou aux groupes privés sous prétexte de leur technicité, qui mesure les enjeux vitaux, qui se mobilise de façon coordonnée et pertinente pour faire avancer le droit à la santé. Les premiers mois de votre mandat donnent l’impression que vous allez dans le sens opposé. Il est temps de vous ressaisir.
Pauline Londeix et Jérôme Martin, co-fondatrice et co-fondateur d’OTMeds, ancienne vice-présidente et ancien président d’Act Up-Paris