La feuille de route annoncée par la ministre Agnès Buzyn n’est ni « concrète ni opérationnelle ». Et la collusion des agendas (annonce ce matin, dîner avec l’industrie pharmaceutique ce soir) est inquiétante.
En annonçant de simples « pistes » pour lutter contre les pénuries de médicaments, la ministre de la santé montre qu’elle n’a pas mesuré l’importance vitale des enjeux et l’urgence de la situation. Le ministère de la santé ne peut se contenter d’être une simple chambre d’enregistrement des problèmes qui se présentent aux usager-es. Il doit les anticiper et s’y attaquer de façon systémique.
Car dans le meilleur des cas, les pistes avancées dans la « feuille de route 2019-2022 » publiée aujourd’hui n’aboutiront qu’à améliorer la veille sur les ruptures de stocks, et non à s’attaquer réellement aux causes, notamment la gestion privée des produits de santé et des médicaments. L’action 4 est à ce titre révélatrice :
« Enfin, une expertise sera menée sur l’opportunité de mettre en place un outil partagé de signalement des indisponibilités de médicaments (action 4). »
Cela revient à soumettre à l’expertise la pertinence….d’une meilleure connaissance des problèmes !
Pourtant, la « piste 18 » du plan pose clairement le constat : « Il est nécessaire de développer les mesures d’anticipation et les pouvoirs de régulation de l’Agence voire augmenter son pouvoir de sanction. L’ANSM doit pouvoir à tout moment exiger la transmission d’un état exhaustif des stocks pour l’ensemble des médicaments et imposer par décision du directeur général pour certaines situations, une transmission régulière de ces stocks (médicaments dérivés du sang, antibiotiques, vaccins par exemple) en vue d’une surveillance renforcée. L’ANSM doit pouvoir enjoindre les laboratoires à prendre toutes les mesures nécessaires pour réduire et gérer les risques de tension d’approvisionnement. »
Seulement, le plan ne donne pas les moyens à l’ANSM de ses ambitions et adopte une stratégie dilatoire pour repousser les mesures contraignantes : « Enfin, la mise en place de nouvelles sanctions financières sera expertisée, afin d’accompagner le renforcement de la régulation de l’Agence. (échéance 2021) »
En refusant ces mesures contraignantes pour l’industrie pharmaceutique, Agnès Buzyn refuse donc de travailler sur les causes réelles des ruptures de stocks et de faire la lumière sur un problème systémique et opaque, qui compromet la santé des individus et la santé publique.
En outre, l’action 22 du plan, propose des incitations financières et fiscales pour encourager les firmes pharmaceutiques et les producteurs de matières premières à se « relocaliser » en France. Ainsi, les sanctions ne sont pas envisagées, mais une nouvelle forme de soutien public est annoncée, qui se rajoutera à tous ceux déjà existants, mais que le gouvernement refuse pour le moment de chiffrer. En accord avec la résolution sur la transparence, le gouvernement doit en profiter pour d’ores et déjà publier la liste de l’ensemble des incitations fiscales et aides financières à l’industrie pharmaceutique française en France, y compris en matière de financement de recherche et du développement (R&D), car il est inacceptable que les contribuables paient à la fois pour le développement des médicaments et pour leur achat par l’Assurance maladie.
Puisqu’Agnès Buzyn a reporté à septembre l’annonce d’un plan effectif, elle doit maintenant travailler, avec les associations expertes, en ce sens. Et cesser de dépendre de l’industrie pharmaceutique dans des réunions informelles et opaques. Car en annonçant ces « pistes » le matin même d’un dîner entre Emmanuel Macron et l’industrie pharmaceutique, Agnès Buzyn envoie un message calamiteux : en France, les mesures de santé publique doivent être validées par des groupes privés dans des réunions informelles avant d’être concrétisées. La France s’est engagée à l’Assemblée mondiale de la santé à mettre en oeuvre concrètement la transparence sur tous les aspects de la politique du médicament. Cette annonce insuffisante et cette collusion d’agendas inquiétante montrent que le gouvernement et le chef de l’État sont aux antipodes de cet engagement. A eux de prouver dans les semaines à venir que l’engagement pris à l’AMS n’était pas que symbolique.
Nous maintenons les sept questions que pose ce dîner entre des industriels du médicaments et Emmanuel Macron et invitons les médias à les poser à nos dirigeant-es :
- Quelle cohérence entre ce dîner et les engagements de la France en matière de transparence ?
- Pourquoi la transparence n’est-elle pas à l’ordre du jour de ce diner de travail ?
- Bruno Le Maire va-t-il demander des comptes à Sanofi au sujet des licenciements alors que les actionnaires touchent d’importants bénéfices ?
- Agnès Buzyn et Frédérique Vidal vont-elles chiffrer le soutien public à la recherche et au développement et révéler que les produits de santé sous brevet privé appartiennent aux citoyen-nes ?
- Les brevets ne favorisent pas l’innovation. Cette réalité, documentée, va-t-elle être abordée par Frédérique Vidal et Agnès Buzyn ?
- Pourquoi Agnès Buzyn et Emmanuel Macron ne traitent-ils pas avec la même attention, les militant-es de l’accès aux soins ou les représentant-es des personnels hospitaliers en grève ?
- Le mandat donné à la nouvelle commission européenne sera-t-il que celle-ci cesse de demander plus de propriété intellectuelle dans les instances internationales et les accords commerciaux bilatéraux ? Ou Comment Emmanuel Macron peut-il discuter d’un mandat accordé à la Commission européenne sans acteur-rices de l’accès aux traitements ?