Pénuries de médicaments : OTMeds rappelle au gouvernement comment agir efficacement
Communiqué de presse – 19 février 2024
OTMeds (Observatoire de la Transparence dans les Politiques du médicament)
Des annonces de « feuilles de route » sans effet sur les pénuries depuis 2017
Depuis 2017 et le début du premier mandat présidentiel d’Emmanuel Macron, les signalements de pénuries de médicaments essentiels ont presque décuplé, passant de plus de 500 à l’époque à près de 5000 en 2023. Toutes les classes thérapeutiques sont touchées. Ces pénuries menacent la prise en charge effective des personnes malades, compromettent le droit à la santé, font perdre du temps et de l’énergie aux patients, à leurs associations, aux professionnels de santé.
Le gouvernement a annoncé une « feuille de route » contre les pénuries de médicaments qui sera présentée mercredi 21 février1. C’est aussi une « feuille de route » qu’Agnès Buzyn avait présentée le 8 juillet 20192. C’était encore une « feuille de route » qui aurait dû être présentée le 20 juillet 2023 par François Braun, puis le 19 décembre 2023 par Aurélien Rousseau, mais un remaniement ministériel et une démission ont reporté cette présentation3 qui ne semblait donc par urgente au gouvernement.
L’augmentation constante des pénuries, qui se concrétise encore en 2023, suffit pour faire le bilan de ces « feuilles de route » à répétition. Le gouvernement, depuis 2017, s’avère incapable de garantir notre sécurité sanitaire en réduisant ces pénuries.
Des outils pour guider une action publique pragmatique
Les pénuries forment un problème systémique qui n’a rien d’inéluctable pour peu qu’on travaille sans dogmatisme sur les causes structurelles : l’augmentation mondiale de la demande, l’inscription du médicament dans des logiques marchandes, la dépendance française et européenne, notamment en terme de principes actifs. Le gouvernement dispose des recommandations de la commission sénatoriale d’enquête sur les pénuries, qui a su travailler au-delà des réflexes idéologiques, avec pragmatisme et écouter la diversité des acteurs pour proposer des mesures de bon sens4. Aucun ministre ne les a évoquées jusqu’à présent.
En juin dernier, nous avions publié une grille permettant de guider l’action publique et d’évaluer la pertinence de recommandations ou de mesures sur le sujet5. Nous appelons le gouvernement à enfin les suivre et les journalistes à s’appuyer sur cet outil (voir ci-dessous) pour analyser et évaluer de façon rationnelle les politiques publiques pharmaceutiques.
Dans un chapitre du livre Notre Santé Nous Appartient (Armand Colin, janvier 2024)6, nous revenons sur les pénuries en France en 2022 et au cours de l’année 2023. Des alertes lancées aux réponses insuffisantes des autorités sanitaires, jusqu’à la mise en place de la commission sénatoriale et de ses recommandations. La lutte contre les pénuries de médicaments en France ne peut être une éternelle feuille de route jamais mise en œuvre. Il y a urgence !
Les mesures essentielles | Leur effectivité dans la feuille de route du gouvernement |
I Système d’alerte et de surveillance des pénuries | |
Produire et rendre publique une cartographie des lieux de production en France et en Europe, y compris fermés récemment | |
Exiger une plus grande précision sur les causes des pénuries dans les signalements | |
Renforcer les alertes des pénuries en France par une veille permanente de la situation dans d’autres pays | |
Ce renforcement des alertes concerne : – les petites molécules issues de la chimie | |
– les biomédicaments | |
– les vaccins | |
– les diagnostics | |
– les dispositifs médicaux | |
Réajuster les listes de médicaments existantes (médicaments essentiels de l’OMS, MITM, liste des 450 médicaments essentiels) en s’appuyant sur une expertise interdisciplinaire prenant en compte la vulnérabilité de la chaine de production et les risques pandémiques | |
II Conditionnalité aux aides publiques | |
Conditionner toute aide publique aux industriels du médicament (Recherche et Développement, aide à l’emploi, aide à la production, financement aux start up, etc.) à une logique de service public | |
Exiger la mise en œuvre effective de la Résolution Transparence adoptée par l’ensemble des États membres de l’OMS en mai 2019 | |
III Fixation des prix des médicaments | |
Exiger que la fixation du prix des médicaments s’appuie sur des éléments rationnels (montant des aides publiques reçues, coût de production, marge des intermédiaires, et autres informations listées dans notre check list de la transparence) | |
IV Adaptation du modèle de production pharmaceutique | |
Diversifier les sources d’API (principes actifs pharmaceutiques) | |
Assurer une production locale principalement publique d’une partie des API en coordination avec les partenaires européens | |
Assurer une production locale principalement publique d’une partie des phases de façonnage et de conditionnement | |
Mettre en place un pôle publique du médicament, qui coordonne une partie de cette production en s’appuyant sur une expertise et une gouvernance interdisciplinaires | |
Garantir une production hospitalière effective (mise en place des conditions opérationnelles et réglementaires adaptées à ce mode de production) | |
V Gestion des stocks | |
Renforcer les obligations légales en la matière et contraindre les industriels au respect de ces obligations | |
Garantir un stock stratégique publique adapté aux besoins | |
Renforcer les capacités logistiques | |
VI Propriété intellectuelle, bureau des brevets et barrières réglementaires | |
Renforcer la transparence sur les brevets délivrés et leur date d’expiration | |
Articuler la mise en place d’une production publique des médicaments avec un travail permettant de lever les barrières de propriété intellectuelle lorsque nécessaire | |
Cartographier les sources de production existantes au niveau mondial pour les produits de santé sous monopole de brevets en France, afin de permettre l’importation quand nécessaire en dehors de la zone géographique couverte par l’Office européen des brevets | |
Lever l’exclusivité des données cliniques lorsqu’elles représentent un frein au recours à des produits fabriqués par des tiers (génériques, biosimilaires, etc.) | |
VII Renforcement des compétences des agences de l’État | |
Renforcer les moyens humains et financiers alloués aux administrations en charge des questions pharmaceutiques | |
Renforcer la compétence et la formation des agents de l’État en matière de politique pharmaceutique | |
Interdire le recours aux cabinets de conseil privés pour conseiller sur les questions pharmaceutiques | |
Limiter la pratique de « pantouflage » (revolving doors) dans les agences | |
VIII Lutte contre les conflits et les liens d’intérêt | |
Obliger les responsables politiques, conseillers techniques, conseillers politiques des ministères, et tout expert contribuant aux politiques pharmaceutiques, à déclarer leurs liens d’intérêts avec les industriels du médicament | |
IX Coordination européenne | |
Coordonner au niveau européen une politique de production publique de médicaments, dont les principes actifs pharmaceutiques |
1https://www.apmnews.com/nostory.php?objet=406941
2https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/07/08/agnes-buzyn-devoile-les-pistes-du-gouvernement-pour-lutter-contre-la-penurie-de-medicaments_5486908_3224.html
3https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/01/27/penuries-de-medicaments-la-feuille-de-route-promise-par-le-gouvernement-se-fait-attendre_6213404_3234.html
4https://otmeds.org/communique-de-presse/letat-doit-entendre-les-conclusions-et-recommandations-de-la-commission-senatoriale-sur-les-penuries-de-medicaments/
5 Cette liste n’est pas exhaustive et pourra évoluer.
6https://otmeds.org/communique-de-presse/24-janvier-2024-notre-sante-nous-appartient-un-ouvrage-collectif-pour-placer-la-sante-au-coeur-du-debat-public/