Nous publions ici la tribune dont nous sommes les co-signataires, initialement publiée dans l’édition du Monde datée du mardi 19 janvier 2021 et intitulée: « Contre le Covid-19, il faut assurer à l’Afrique un accès au vaccin »
Un collectif de personnalités, parmi lesquelles la philosophe Cynthia Fleury et l’économiste Thomas Piketty, plaide, dans une tribune au « Monde », pour que l’Afrique, qui fait face à une crise potentiellement majeure, ait accès en urgence aux dernières innovations thérapeutiques contre la pandémie, notamment aux vaccins.
Contre le Covid-19, il faut assurer à l’Afrique un accès au vaccin
Tribune. Bien qu’il soit plutôt difficile de généraliser compte tenu de la diversité des contextes sur le continent africain, comparativement aux pays d’Europe de l’Ouest, aux Etats-Unis ou au Brésil, une grande partie des Etats africains a été plutôt épargnée par le Covid-19 lors des précédentes vagues de l’épidémie, à l’exception de l’Afrique du Sud et du Nigeria. Les raisons qui peuvent expliquer que certains pays aient plus rapidement réagi que d’autres ? Leur relative bonne préparation face aux pandémies (Ebola, tuberculose, sida…), comparés aux pays d’Europe de l’Ouest, doublée d’une grande réactivité dans les mesures prises. Cependant, depuis décembre, l’épidémie semble hors de contrôle dans certains pays d’Afrique de l’Ouest. Au Nigeria, fin décembre 2020, le nombre de cas s’élevait à 92 000, 54 000 au Ghana, 7 000 au Mali, et ces chiffres sont probablement bien en deçà de la réalité, les capacités en dépistage étant particulièrement limitées.
Dans les pays d’Europe de l’Ouest, pourtant dotés de systèmes de santé très performants, seuls des confinements stricts ont permis aux systèmes de santé de faire diminuer le taux de reproduction du virus pour permettre d’éviter l’implosion des systèmes de santé ; et même avec ces mesures drastiques, les systèmes de santé ont souvent été dépassés et des tris de patients ont parfois été nécessaires. Des patients touchés par d’autres pathologies ont quant à eux été pris en charge avec beaucoup de retard, faisant exploser les pertes de chance.
Les pays d’Afrique à bas revenus comptent parmi les systèmes de santé les plus fragiles et les plus pauvres au monde. Dès lors, à un taux de reproduction du virus dans certains de ces pays similaire à celui connu en Europe au pic des deux premières vagues, les conséquences pourraient être absolument dramatiques, dans la mesure où les services de réanimation sont immédiatement saturés par à peine quelques malades.
« Bien commun »
Ainsi, en dépit d’une première vague globalement plutôt bien contenue, de nombreux Etats africains se trouvent aujourd’hui face à une potentielle crise majeure : devoir tenter de contenir cette nouvelle vague, avec des infrastructures hospitalières et des services de réanimation fragiles et sous-dotés en moyens humains, en lits et en équipements. Fin décembre 2020, des témoignages recueillis à l’hôpital du Mali, à Bamako, montraient par exemple que les services de réanimation se trouvaient dans une situation catastrophique, et ce alors que le pic de la vague au Mali n’a pas encore été atteint.
Une autre problématique se pose : les personnes présentant des formes graves du Covid-19 sont souvent des personnes atteintes de comorbidités ou d’autres pathologies, comme par exemple un diabète déséquilibré. En temps normal, la majorité des pays africains doit déjà surmonter une difficulté de prise en charge de ces comorbidités. En novembre 2020, le bureau africain de l’OMS s’alarmait des conséquences engendrées par la crise due au Covid-19, en particulier dans l’accès à différents services de santé essentiels.
Enfin, alors que la seule solution semblerait être d’accélérer les stratégies de prévention, et notamment d’organiser des campagnes de vaccination, les candidats-vaccins et vaccins fraîchement mis sur les marchés européen et américain semblent s’éloigner des pays les plus pauvres. Certes, on ignore encore la durée de protection apportée par ces vaccins, et également s’ils réduisent significativement la transmission du virus, et donc leur impact au niveau populationnel. Mais il est en revanche prouvé qu’ils réduisent les formes graves des infections.
Malgré les déclarations successives en faveur du vaccin comme « bien commun », les leaders des grandes puissances des pays du Nord ne semblent avoir attaché à l’argent public qui a été investi aucune conditionnalité d’accès, de prix et de production pour les pays les plus pauvres. Par ailleurs, malgré les principes de transparence prônés par Emmanuel Macron, l’opacité règne sur les contrats avec les industriels pharmaceutiques.
Le 9 décembre, Amnesty International estimait que, dans les pays pauvres, 9 personnes sur 10 n’auront pas accès aux vaccins contre le Covid-19 en 2021. Car l’initiative Covax, mise en place par l’OMS, la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies et l’Alliance du Vaccin, soutenue par la France, avec pour objectif d’accélérer la disponibilité des vaccins contre le Covid-19 dans les pays du Sud, et que 2 milliards de doses soient distribuées d’ici la fin 2021, doit être mise en perspective avec le fait que les pays riches ont acheté 96 % des doses de vaccins de Pfizer et de BioNTech, et réservé 54 % des vaccins les plus prometteurs (comme l’a rappelé le 9 décembre la coalition d’ONG People’s Vaccine Alliance, la totalité des doses du vaccin Moderna et 96 % de celles de Pfizer BioNTech ont été acquises par les pays riches), coupant ainsi les sources d’approvisionnement pour l’initiative elle-même.
Réponse structurelle
Le 29 décembre, le New York Times affirmait que des doses de vaccins produites en Afrique du Sud allaient même être exportées en Europe. Comment avoir accès à des vaccins quand la quasi-totalité de leur production est préemptée par les pays riches qui ne représentent pourtant que 14 % de la population mondiale ? Enfin, l’Union européenne, dont la France, s’est opposée à la proposition de l’Afrique du Sud et de l’Inde à l’Organisation mondiale du commerce le 9 décembre pour que toutes les barrières de propriété intellectuelle soient levées concernant les technologies développées contre le Covid-19. Cette proposition n’aurait pas forcément permis de régler la question de la production massive de doses, mais aurait contribué à accélérer l’accès aux technologies nécessaires pour juguler la pandémie.
Nous sommes donc très loin des déclarations d’Emmanuel Macron sur le vaccin comme bien commun, et d’un droit effectif, supposé inaliénable, à la santé. Il y a vingt ans, la France tenait le leadership du soutien des pays riches à l’augmentation des moyens pour lutter contre le sida, le paludisme et la tuberculose. Bien qu’insuffisant, à l’époque, son exemple était souvent suivi. Aujourd’hui, la campagne de vaccination et la stratégie vaccinale sont encore illisibles au sein de l’Hexagone. Ce nouvel exemple d’impréparation et de cafouillage logistique suscite des débats et une attention légitimes. Mais cela ne doit pas détourner l’attention des médias, du grand public et des responsables politiques des problématiques de l’accès dans les pays pauvres. L’Afrique et les pays du Sud semblent encore une fois relégués au dernier plan dans l’accès aux outils technologiques nécessaires pour répondre à la pandémie. Le même scénario semble se jouer, un scénario dans lequel les populations des pays les plus pauvres sont les dernières à avoir accès aux innovations thérapeutiques, et ce dans une indifférence quasi générale de la communauté internationale.
Aujourd’hui, les quelques projets financés en Afrique sur le Covid-19 ne proposent pas une réponse structurelle aux problèmes posés. C’est pourquoi une assistance technique et financière doit être mise en place sans délai pour renforcer les capacités hospitalières et de dépistage publiques. Les pays africains doivent par ailleurs recevoir un appui financier pour développer et mettre en place la réponse la plus adaptée à la particularité de chaque contexte, et non calquée sur un seul et unique modèle. Un soutien fort aux stratégies de prévention, vaccinales et de prise en charge, ne peut par ailleurs plus être différé. Les barrières de propriété intellectuelle doivent être levées sur les technologies de santé développées contre le Covid-19. S’il est confirmé que les vaccins mis sur le marché réduisent la transmission du virus, alors des doses doivent parvenir sans plus attendre aux pays africains et tous les moyens doivent être réquisitionnés par les Etats comme la France pour accélérer la production et l’exportation de doses de vaccins.
Stéphane Besançon, directeur général, Santé Diabète ; Emmanuel Bonnet, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) ; Nathalie Ernoult, directrice plaidoyer à Médecins sans frontières (MSF) ; Cynthia Fleury, philosophe, professeure au CNAM, titulaire de la chaire « humanités et santé » ; Fatima Hassan, avocate sur les droits humains, Health Justice Initiative, Afrique du Sud ; Andrew Hill, pharmacologue, université de Liverpool ; Pauline Londeix et Jérôme Martin, cofondateurs de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds) ; Thomas Piketty, économiste (EHESS) ; Valéry Ridde, chercheur à l’IRD ; Alioune Tine, expert de l’ONU sur les droits de l’homme au Mali et ancien directeur d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre ; Els Torreele, bio-ingénieure, chercheuse en innovation médicale et accès aux médicaments.