l’Express : « Pour ou contre : face au variant Omicron, faut-il libérer les brevets des vaccins ? »

Publié le 23 décembre 2021 Dans la catégorie : Tribunes , , , ,

OUI / « Il est inconcevable que l’accès à l’innovation soit bloqué par les droits de propriété » 

Par Pauline Londeix  

Fin 2021, seules 3,9% des personnes dans les pays à bas revenus et moins de 50% de la population mondiale avaient reçu une première dose de vaccin. Laisser le virus circuler, c’est favoriser l’émergence de mutations préoccupantes comme le variant Omicron. La sortie de crise passe par une accélération de la vaccination.

Pour la rendre possible, il faut augmenter les capacités de production, donc suspendre les droits conférés par les brevets. Un brevet repose sur un contrat social : un monopole est conféré à un inventeur pour récompenser un risque. Mais dans le cas des vaccins contre le Covid-19 se trouvent des milliards d’argent public investis et des risques pris par les Etats. Et, aujourd’hui, les droits de propriété intellectuelle empêchent les producteurs et les pays du Sud qui le souhaitent de produire eux-mêmes des vaccins, alors qu’ils le demandent et disposent des infrastructures pour le faire.

C’est le sens de la requête de l’Inde et de l’Afrique du Sud auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis octobre 2020, communément appelée « levée des brevets ». Elle repose sur un article passé à l’OMC qui autorise des dérogations pour laisser le champ libre à la production par des tiers, qui en parallèle bénéficieraient de transferts de technologie. Ces derniers pourraient être exigés par la Commission européenne à travers les contrats signés avec les firmes, comme en ont bénéficié avant eux les sous-traitants de Moderna et Pfizer sans expérience préalable dans la production de vaccins à ARN messager. Il est inconcevable que l’accès aux innovations et à la science continue d’être bloqué par des droits de propriété de deux firmes. 

Si les pays du Sud avaient été autorisés à produire des vaccins il y a un an, la situation sanitaire mondiale serait probablement différente aujourd’hui. 

Pauline Londeix est cofondatrice, avec Jérôme Martin, de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament.


NON / « Les brevets permettent de lutter contre les variants » 

Par Frédéric Collet 

La survenue du nouveau variant Omicron ne remet pas en cause la légitimité de la propriété intellectuelle. Certes, son apparition s’explique – entre autres – par la faible couverture vaccinale de certaines régions du monde, en l’occurrence l’Afrique du Sud. Je déplore ces inégalités, mais une levée des brevets ne les résoudrait pas pour autant.

Toutes les capacités de production mondiales sont déjà mobilisées. Les industriels du vaccin ont mis en place à ce jour plus de 300 partenariats de production et de fabrication dans le monde, et la production totale de vaccins devrait atteindre plus de 24 milliards de doses d’ici à juin 2022 ! Ce n’est pas tant la quantité de vaccins qui est problématique que leur mise à disposition. Les entreprises appliquent des prix responsables et respectent leurs engagements pris en mai et septembre 2021 de travailler avec les gouvernements et les partenaires, notamment grâce au dispositif Covax, pour soutenir les efforts visant à aider les pays à atteindre leurs objectifs de vaccination.

En revanche, supprimer les brevets découragera la recherche des futurs vaccins dont nous pourrions avoir besoin – et notamment dans le cas où des variants résistants apparaîtraient. On ne peut demander aux Etats, avec l’argent public, d’engager de telles sommes sur des niveaux de risques si élevés. Seule l’industrie pharmaceutique est prête à répondre à de tels enjeux. 

Il existe en revanche des solutions pour réduire ces inégalités d’accès aux vaccins dans le monde : intensifier le partage de doses par les pays riches. Sur ce plan, je crois que nous sommes en bonne voie : après les annonces de l’Europe et des Etats-Unis, le président chinois a promis, début décembre 2021, de fournir à l’Afrique 1 milliard de doses supplémentaires. Enfin, il faut considérer la chaîne dans son ensemble et soutenir, sur le plan sanitaire et logistique, le déploiement de la vaccination dans les pays défavorisés. 

Copy link
Powered by Social Snap