Covid-19 : questions / réponses sur la « levée des brevets »

Publié le 29 décembre 2021 Dans la catégorie : Publications , , , ,

Pourquoi les États membres de l’OMC doivent « lever les brevets » sur les vaccins contre le COVID  et soutenir la proposition sud-africaine et indienne (1ère version : 29 Décembre 2021).

Résumé

Pour faire face à la crise du COVID-19, une des solutions proposées par de nombreux pays à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est le recours à une disposition prévue par le droit, qui consiste à suspendre les monopoles conférés par les brevets sur toutes les technologies permettant de lutter contre le COVID-19 afin de permettre d’augmenter leur production, notamment dans des pays en développement.

Ce document rappelle quelques éléments essentiels au débat, notamment en matière de propriété intellectuelle, le périmètre de la demande de « levée des brevets » à l’OMC, les limites des stratégies mises en place jusqu’ici, et les enjeux liés au transfert de technologie.

Il est essentiel d’éclairer le débat. La technicité apparente ne doit pas dissimuler la simplicité des enjeux : sauver des vies, mettre fin à la pandémie, appliquer le droit à la santé.

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, la communauté internationale développe différents outils pour lutter contre la pandémie : tests, vaccins, candidats vaccins et candidats traitements, etc. Mais, près d’un an après l’autorisation des premiers contre le COVID, les inégalités dans l’accès à ces outils sont criantes. L’ensemble de la communauté internationale doit pouvoir participer à l’effort. Les objectifs sont nombreux et doivent être visés simultanément : répondre à l’urgence qu’il y a à vacciner là où cela n’a pas encore été possible, fournir des doses de rappels là où elles sont nécessaires aujourd’hui, anticiper les besoins en doses de rappels probables à venir, et enfin être en mesure d’adapter rapidement la production en cas d’émergence de nouveaux variants résistants aux vaccins existants et nécessitant une adaptation des vaccins à ARNm existants.

C’est bien une réponse globale, coordonnée dont nous avons besoin. L’égoïsme national dans lequel s’enferment les pays riches nous met tous et toutes en danger puisqu’en accaparant les doses pour leur population sans considération pour celle des pays du sud, ils ne sacrifient pas simplement les vies et les économies dans les pays pauvres. Ils favorisent la circulation du virus, donc l’émergence de variants potentiellement plus dangereux. Comme l’a rappelé mercredi 22 décembre le directeur de l’Organisation Mondiale de la Santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus :

Aucun pays ne pourra se sortir de la pandémie à coups de doses de rappel (…) Des programmes de rappel sans discernement ont toutes les chances de prolonger la pandémie, plutôt que d’y mettre fin, en détournant les doses disponibles vers les pays qui ont déjà des taux de vaccination élevés, offrant ainsi au virus plus de possibilités de se répandre et de muter. »

Tedros Adhanom Ghebreyesus

La levée des brevets accompagnée d’un transfert de technologie est une étape nécessaire pour coordonner les réponses mondialement et couvrir les besoins mondiaux.

La frise en Une permet à titre indicatif de visualiser l’impact possible de mesures visant à répondre à ce double défi : comment lever les barrières, juridiques et légales, qui aujourd’hui empêchent la communauté internationale de faire face aux besoins pour vacciner plus largement, et comment simultanément enclencher la production de vaccins à ARNm par des producteurs tiers ?


Introduction/contexte

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, plus de cinq millions quatre cent dix mille personnes sont mortes de cette maladie, selon les chiffres officiels, et même si l’on peut supposer que de nombreux décès liés au COVID ne lui aient pas été directement attribués, notamment dans les pays en développement. Depuis deux ans, la communauté internationale développe différents outils pour lutter contre la pandémie : tests, vaccins, candidats vaccins et candidats traitements, etc. Mais, près d’un an après l’autorisation des premiers contre le COVID, les inégalités dans l’accès à ces outils sont criantes. 74% de tous les vaccins fournis en 2021 sont allés vers des pays à hauts revenus (HIC) et à revenus intermédiaires de la tranche supérieure (UMIC) tandis que moins de 1% d’entre eux sont allés vers des pays à bas revenus. Au Portugal, 87 % de la population est pleinement vaccinée. Au Nigéria ce taux est de moins de 2 %. La Suède a reçu 9 fois plus de doses du vaccin Pfizer BioNTech que l’ensemble des pays les plus pauvres. Le manque de vaccin entraîne des morts qui auraient pu être évitées. Il favorise la circulation du virus, et l’émergence de variants potentiellement plus dangereux, qui pourraient échapper aux vaccins existants.

Une des solutions mises en avant par l’Inde et l’Afrique du Sud, avec le soutien d’une centaine de pays pauvres ou à revenus intermédiaires, est le recours à une disposition prévue par le droit de l’organisation mondiale du commerce (OMC), consistant à suspendre les monopoles de vingt ans minimum conférés par les brevets sur toutes les technologies permettant de lutter contre le COVID-19. Cette demande a été déposée pour la première fois en octobre 2020 auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce. Elle est soutenue par une majorité d’États membres, par de nombreux représentants de la société civile et de responsables politiques, mais bloquée par la Commission européenne depuis des mois.

Même certains des pays riches opposés à la demande de l’Inde et de l’Afrique du Sud ont reconnu que la propriété intellectuelle pouvait être un frein à la production et à la réponse nationale à la pandémie. Ainsi, l’Allemagne d’Angela Merkel, grande opposante à la « levée des brevets », elle-même a reconnu que les brevets limitaient la production. En mars 2020 elle adoptait une loi l’autorisant à utiliser des technologies protégées par des brevets pour faire face au COVID-19, loi qui était ensuite validée par le Conseil des ADPIC de l’OMC.


Qu’est-ce qu’un brevet ?

Un brevet est un titre administratif qui relève du droit de la propriété intellectuelle. Comme il s’agit d’un droit territorial, et même si certains pays ont opté pour des bureaux régionaux de propriété intellectuelle, les demandes de brevets sont traitées au niveau national dans chaque pays par des examinateurs, qui analysent le bien-fondé des demandes. L’accord sur les ADPIC (Aspects De la Propriété Intellectuelle liés au Commerce) de l’Organisation Mondiale du Commerce signé en 1994 par les États instituant l’OMC avait pour but d’harmoniser les législations nationales en matière de propriété intellectuelle. Cet accord a ainsi institué une durée minimum de protection par le brevet obligatoire de 20 ans. Pendant cette durée, le brevet garantit à son détenteur une exclusivité de la production et/ou de la commercialisation du produit.

Si l’accord ADPIC impose aux États membres des standards minimum pour l’octroi d’un brevet, celui-ci offre également une latitude aux pays pour définir dans leur loi les critères de brevetabilité et définir l’invention ainsi que les exceptions à la brevetabilité. Ainsi, tous les pays n’examinent pas avec le même regard toutes les demandes de brevet. L’accord ADPIC prévoit également d’autres flexibilités telles que la licence d’office ou obligatoire, qui peut être utilisée par un gouvernement pour permettre à un producteur tiers de produire un produit breveté. D’autres flexibilités font également partie de l’accord ADPIC comme la possibilité « d’opposition » légales ou administratives à des demandes de brevets en examen ou déjà octroyées.

Souvent, sur un seul médicament, ou produit de santé, on trouve différents types de brevets (pour un exemple précis, et les différentes interprétations possibles en fonction des différentes lois, voir l’analyse pharmacologique et juridiques des brevets sur la combinaison de deux médicaments phares contre la tuberculose dans ce rapport de TAG. )


Qui finance la recherche et le développement des vaccins COVID ?

Un brevet vise notamment à récompenser la prise de risque et l’investissement d’une innovation.

Fin décembre 2021, 113 candidats vaccins contre le COVID-19 étaient en cours de développement selon le Vaccine Tracker du New York Times. Sur ces candidats vaccins, seuls 9 ont obtenu une autorisation de mise sur le marché à ce jour. La majorité d’entre eux ont été développés ou sont en cours de développement grâce à de l’argent public sous différentes formes. Cela montre l’ampleur des risques pris par les États dans la course aux vaccins contre le COVID-19.

A titre d’exemple, Moderna et Pfizer se sont appuyés sur de nombreuses aides publiques. Selon des chercheurs américains, l’argent public des États-Unis a financé à hauteur de 17,2 milliards de dollars en vingt ans des projets de recherche fondamentale qui ont servi aux firmes dans le développement rapide des vaccins à ARN messager. En 2020, Pfizer recevait 350 millions d’euros de l’Allemagne et 150 millions d’euros de la Banque européenne d’investissement pour le développement du vaccin. Une étude anglaise parue le 22 décembre 2021 dans le British Medical Journal évalue à 98 % la part des financements publics et caritatifs dans le financement de la recherche et du développement du vaccin Oxford AstraZeneca. Les firmes ont aussi été aidées par les États pour la production. Enfin, le système des pré-commande garantit une trésorerie qui limite les risques pris par les entreprises. Celles-ci ne communiquent pas sur les investissement qu’elles ont réellement consentis.


Quest-ce que la levée (« Waiver ») et qui la demande ?

La demande de « levée des brevets » désigne la demande de l’Inde et de l’Afrique du Sud du recours à une disposition prévue par l’article 9, alinéas 3 et 4 des accords de Marrakech instituant l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Il s’agit donc bien d’une disposition prévue par le système qui a fait naitre l’OMC, et non une mesure d’exception.

Dans le cadre de la lutte conte le COVID-19, l’Afrique du sud et l’Inde ont ainsi déposé le 2 octobre 2020 une demande de levée des brevets (« waiver ») au conseil des ADPIC, l’instance de l’OMC en charge du suivi des accords sur la propriété intellectuelle. Malgré le soutien croissant (cent pays ont soutenu la demande), les pays riches se sont opposés, empêchant l’adoption par deux fois.

Officiellement pour des raisons sanitaires, la réunion ministérielle prévue fin novembre 2021 à Genève a été annulée, reportant ainsi à nouveau l’adoption de cette mesure.


Quel est le périmètre de la demande ?

La demande porte sur une levée des clauses des accords de l’OMC relatifs à tous les aspects de la propriété intellectuelle (l’accord ADPIC), dont bénéficieraient tous les États membres sur les technologies ayant rapport avec la prévention, le contrôle et le traitement du COVID-19. Toutes les technologies sont donc concernées. En mai 2019, le président Joe Biden s’est exprimé sur le soutien des États-Unis sur les seuls vaccins. Les négociations peuvent réduire la portée du texte. En matière de durée de la dérogation, l’article IX des accords de Marrakech qui la permet prévoit un réexamen tous les ans. Ainsi, cette demande a forcément un caractère temporaire.

L’alinéa 3 de la demande précise bien qu’elle n’annule pas les droits dont bénéficient les pays les plus pauvres, qui ne sont pas soumis aux accords ADPIC, pour permettre de soigner leur population. Il s’agit des pays les moins avancés (PMA) qui disposent d’une dérogation jusqu’en 2033 pour appliquer l’accord ADPIC et délivrer des brevets sur des produits pharmaceutiques.


Que permettrait « la levée des brevets » à l’OMC ?

Dans le domaine industriel, et en particulier pharmaceutique, tout producteur intéressé par un nouveau marché réalise dans un premier temps une analyse de « freedom to operate » qui consiste à dresser une cartographie des brevets, notamment à travers les bases de données de brevets existantes, pour savoir si des brevets existent ou non dans un territoire géographique donné. Si des brevets existent, et sauf s’il en a l’autorisation explicite à travers des accords de licences par le producteur princeps ou qu’une licence obligatoire ou d’office a été émise, le producteur ne peut pas produire le produit breveté (sauf s’il s’agit de brevets sur le « procédé » de fabrication et qu’il peut prouver qu’il l’a fabriqué différemment).

Ainsi, la « levée des brevets » permettrait d’assurer à des producteurs intéressés cette « freedom to operate », à la fois dans les pays où se situeraient la production et également pour l’exportation. Accompagné par une aide au transfert de technologie, cette mesure permettrait donc à des laboratoires qui en ont la capacité d’apporter leur contribution à la production mondiale. Les transferts de technologies sont possibles à travers les contrats signés entre les firmes pharmaceutiques et les États, comme la Commission européenne pour l’Europe.

Bien entendu, les États ont également la possibilité de recourir aux autres flexibilités de l’accord ADPIC, comme la licence obligatoire ou d’office, mais celle-ci est plus difficile à manœuvrer dans le contexte actuel : pression et isolement politique des pays qui voudraient l’actionner (y compris des « petits pays ») et obligation de l’émission de licence d’office d’exportation et d’importation pour les pays qui souhaiteraient s’approvisionner chez les producteurs concernés. En résumé, si les licences obligatoires restent des options possibles, elles n’offrent pas la sécurité nécessaire à des industriels pour se lancer dans des productions de masse. En outre, certains pays comme l’Afrique du Sud limitent le recours aux licences obligatoires administratives. Ainsi, tous les pays ne sont pas aujourd’hui en mesure d’utiliser cette flexibilité.

Compte tenu de tous ces éléments et de l’urgence mondiale, d’un point de vue légal, la demande de l’Inde et de l’Afrique du Sud est cruciale. Bien sûr, elle pose la question des droits de propriété intellectuelle octroyés aux multinationales, mais ce droit est-il légitime dans un tel contexte pandémique, et alors que la recherche et le développement sont soutenus massivement par de l’argent public ? Pour garantir la sécurité sanitaire mondiale, le droit fondamental à la santé, le droit à toutes et tous de circuler, le droit d’entreprendre, ne doit-on pas tout faire pour mettre fin au plus vite à la pandémie ?


Des producteurs tiers peuvent-ils produire des vaccins à ARNm ?

La capacité de production existe. Selon un rapport de chercheurs de AccessIBSA et Médecins sans frontières (MSF), plus de 100 producteurs à travers le monde seraient aujourd’hui prêts à produire ces vaccins à ARNm.

A titre d’exemple, il existe des unités de production qui fabriquent déjà des vaccins au Maroc, en Égypte, en Afrique du Sud. Le laboratoire Janssens a mandaté un producteur en Afrique du Sud pour fabriquer des vaccins contre le COVID-19 destinés aux marchés européen et américain. Ainsi pendant des mois, des vaccins produits en Afrique du Sud ont été exportés en Europe et aux Etats-Unis.

Des infrastructures existent aussi au Brésil, en Thaïlande, en Inde, au Bangladesh, en Israel, au Sénégal. En février, un des grands producteurs de génériques au monde, Teva, avait proposé aux multinationales de sous-traiter une partie de la production de vaccins, ce qu’elles ont refusé. Si dès octobre 2020, les pays riches avaient soutenu la levée des brevets, Teva aurait pu se passer de longues négociations infructueuses avec les multinationales et apporter sa forte contribution à la production mondiale. Des exemples similaires se retrouvent au Canada, au Danemark, au Brésil, au Bangladesh, etc.

Ce n’est donc pas la capacité de production qui est en cause dans les inégalités mondiales, mais bien les monopoles, qui empêchent des producteurs tiers de contribuer à l’effort.


Combien de temps faut-il pour adopter cette mesure et pour qu’on en voit les effets ?

Cela fait 15 mois que la première demande a été soumise. Les ministres de l’OMC, dont la réunion de décembre a été reportée, peuvent décider d’une nouvelle réunion en janvier et y adopter la « levée des brevets ». Une fois la mesure adoptée, le transfert de technologie, indispensable, n’est pas aussi long que le prétendent les opposants à la mesure. L’histoire très récente prouve qu’avec de la volonté politique, ce délai peut être réduit à quelques mois. Les vaccins à ARNm sont des technologies nouvelles, sur lesquelles aucune firme n’avait d’expérience de production à grande échelle avant le début de la crise du COVID. Si Pfizer et Sanofi ambitionnaient à terme de devenir des leaders du secteur d’ici à quelques années, ces deux firmes ont dû accélérer et affiner leurs capacités de production au fil de la crise. Par ailleurs, comme le rappelle l’association Prep For All sur Twitter, Moderna reçoit au printemps 2020, 483 millions de dollars d’argent public pour lancer une production à plus grande échelle des vaccins dont les essais préliminaires augurent de résultats encourageants. Le 1er mai 2020, Moderna délègue à Lonza, un laboratoire suisse, la production de ses vaccins. Lonza aménage l’équipement de deux de ses sites de production, en Suisse et aux États-Unis (New Hampshire). Comme le signale Prep4all :

Rappelez-vous qu’avant l’été 2020, Lonza n’avait jamais fait d’ARNm thérapeutique. Mais avec le transfert de technologie de Moderna, la société a pu faire les premières doses dans les 2 mois suivant l’accord.

Au 31 décembre, ce laboratoire avait produit 20 millions de doses.

De même, en février 2021, la ministre française déléguée à l’industrie Agnès Pannier-Runacher annonçait l’ouverture en France de quatre sites de production à partir de mars 2021, et un appel à projet de 300 millions d’euros d’argent public pour soutenir la sous-traitance par des groupes privés. Selon elle, ce travail aboutissant à cette extension de la production aurait commencé en juin 2020. Huit mois seulement ont donc été nécessaires pour ouvrir de nouveaux sites dans le cadre contraint des brevets, qui ont ralenti les négociations et la mise en place de la production. Le transfert de technologie peut être imposé aux firmes par le biais des contrats qu’elles signent avec les pays riches. Il s’agit d’une mesure complémentaire indispensable à la levée des brevets.


Cette mesure est-elle adaptée à l’urgence ?

L’un des arguments contre la demande de l’Inde et de l’Afrique du Sud à l’OMC est que celle-ci ne serait pas adaptée à l’urgence. Les initiatives volontaires en place, dont COVAX, permettraient, d’y répondre. Leur échec montre pourtant l’inverse. Il est par ailleurs malhonnête de faire valoir la question des délais alors que l’obstruction des opposants à la mesure a fait perdre près de 16 mois aux producteurs qui auraient pu en bénéficier.

L’urgence ne doit pas interdire d’anticiper et de planifier, au contraire. La demande de « levée des brevets » suivie d’un transfert de technologie, nécessiterait plusieurs mois. Mais ce délai permettrait à la communauté internationale d’avoir une vision à moyen terme et de mettre en place simultanément des campagnes de rappels dans les pays du nord, et de vaccination larges dans les pays du sud, basées sur leurs besoins, et prenant en compte les difficultés inhérentes aux campagnes de vaccinations massives également éprouvées par les pays les plus riches (logistique, gestion de stocks, pertes, hésitation à la vaccination, etc.). Cette production permettrait également une meilleure préparation à la suite à la pandémie de COVID-19, que nous ignorons tous. De nombreuses inconnues demeurent notamment en ce qui concerne sa durée, l’émergence éventuelle de nouveaux variants résistants aux vaccins existants.

Non seulement cette mesure est adaptée à l’urgence, mais en plus, parce qu’elle permet de sortir des logiques court-termistes inhérentes au fonctionnement des multinationales, de la seule réactivité, elle favorise la plannificaton et l’anticipation et permet d’espérer une sortie de crise bien plus rapide qu’avec la stratégie actuelle de dons de doses à travers COVAX notamment.


Quelle est la position de la Commission européenne et de la France ?

La Commission européenne refuse la levée des brevets et a milité pour que le sujet ne soit pas inscrit à l’ordre du jour des débats à l’OMC. Emmanuel Macron a quant à lui fait mine en juin de soutenir la demande de l’Inde et de l’Afrique du Sud auprès d’ONG, mais n’a jamais voulu réaffirmer clairement sa position. Dans les arènes multilatérales, la commission européenne, dont la France, sont les principaux acteurs à bloquer cette mesure vitale. A la place, la France soutient des initiatives volontaires, qui ont toutes échoué depuis un an, comme le montrent les chiffres disponibles, concernant la disponibilité des doses de vaccins dans les pays en développement.


Pourquoi les dons et les exportations ne sont-ils pas suffisants ?

Contre la levée des brevets, la Commission européenne fait valoir sa politique de dons, notamment par COVAX, et d’exportations. Or, la levée des brevets ne s’oppose pas à une telle politique. Au contraire, le faible bilan des mesures prises jusqu’ici en matière de dons et d’exportations – au rythme actuel, ce n’est qu’en août 2024 que le taux de vaccination de 70% sera atteint, sans parler des nécessaires rappels – montre qu’une mesure forte et complémentaire est indispensable. Dans un rapport paru en décembre 2021, « COVAX, une promesse brisée faite au monde », Médecins Sans Frontière détaille les raisons de cet échec de l’initiative multilatérale, parmi lesquelles l’opacité du processus de décision, l’exclusion de fait des pays bénéficiaires (principalement des pays à bas et moyens revenus, LMIC, alors que les pays à revenus élevés, HIC, bénéficient d’une influence et d’un pouvoir décionnaire sur des choix stratégiques) et des sociétés civiles de la gouvernance, ou encore le décalque de la loi de l’offre et de la demande qui permet aux pays plus riches de bénéficier d’une offre variée de vaccins alors que les plus pauvres doivent se contenter d’une offre réduite.

Le pragmatisme impose une conclusion sans appel sur les limites des choix politiques opérés jusqu’ici. D’autre part, la santé est un droit, et non un enjeu de charité. L’exercice de ce droit ne doit pas dépendre de la générosité, mais être assuré par des mesures politiques.

Mettre en avant les exportations européennes, c’est masquer le fait que de nombreux pays du sud ont une capacité de production pharmaceutique de qualité. Il s’agit d’une vision européo-centrée et faussée de la réalité de cette production mondiale, qui occulte que de nombreux produits de santé utilisés en France, y compris ceux commercialisés par des multinationales, sont produits dans les pays en développement.

Enfin, l’exemple de la France montre la difficulté à mener une campagne de vaccination pour un pays. Refus de la vaccination, rejets de certaines marques pour des raisons marketing ou de réputation, cela a poussé les pays riches à acheter et consommer plus de doses qu’ils n’en avaient en théorie besoin pour leurs populations ; comme au nord, les pays du sud doivent faire face à ces défis, surtout lorsqu’à travers l’initiative COVAX, ils reçoivent des stocks d’AstraZeneca sur le point d’expirer. En France, de nombreuses personnes mal informées refusent des doses de rappel de Moderna, on peut alors bien comprendre que des personnes dans des pays où les décès liés au COVID sont sous-reportés refusent d’être vaccinées avec des vaccins qui ne sont plus utilisés au nord. On voit donc toute la difficulté pour les pays du sud : construire des campagnes de vaccination, avec des produits sur le point d’expirer boudés au nord, et des stocks aléatoires. Les pays du sud doivent pouvoir construire leurs stratégies vaccinales eux-mêmes.


Que penser des promesses des multinationales quant à une prochaine augmentation de leur production ?

Les multinationales pharmaceutiques indiquent qu’elles vont augmenter leurs volumes de production dans les prochains mois pour faire face à la demande. Elles sont coutumières de telles promesses (voir un exemple à ce lien).

D’une part, dépendre des seules annonces et de l’agenda de firmes, dont les logiques financières ne sont pas celles de la santé publique, réduit considérablement la capacité collective à coordonner une réponse globale d’ampleur et à anticiper l’évolution de la pandémie. D’autre part, les faits montrent que les livraisons, y compris dans les pays riches, n’ont pas été à la hauteur des promesses faites. Malgré l’assurance d’une augmentation de la production, Pfizer BioNTech n’a pas été en mesure d’honorer ses livraisons en janvier 2020 en Europe, entraînant une désorganisation de la campagne de vaccination en France. Les retards de livraison ont marqué toute la politique d’AstraZeneca au premier semestre 2020 et le litige avec l’Union Européenne a mis plus de six mois pour être réglé. Enfin, même tenue, la promesse d’une augmentation de la production par les seuls détenteurs de brevets ne garantit pas l’égalité vaccinale et l’accès universel puisque la loi de l’offre et de la demande favorisera les pays qui pourront payer les doses au prix le plus élevé, comme cela se fait depuis un an.


Pourquoi les initiatives volontaires ne sont-elles pas suffisantes ?

Outre COVAX, l’Europe et la France mettent en avant la possibilité d’accords commerciaux, accords de sous-traitances ou « licences volontaires », accords consentis par les détenteurs de brevets. Les exemples de Teva et des autres laboratoires confrontés au refus de ces détenteurs montrent leur mauvaise volonté à partager. Un « pot commun » de licences, dépendant du bon vouloir des multinationales et géré par le Medicines Patent Pool est vide depuis avril 2020. Des firmes côtés en bourse comme Moderna ou Pfizer n’ont aucun intérêt à octroyer des licences volontaires. Ces licences (qui ne sont pas des flexibilités de l’accord ADPIC mais des accords commerciaux) ne sont par ailleurs pas automatiques ; comme pour la levée des brevets, des transferts de technologie, enregistrement, et productions devront être menées.

Alors que la levée des brevets à l’OMC pourrait avoir un effet immédiat, les accords volontaires dépendent de l’accord de firmes, qui depuis un an ont montré leur désintérêt pour une telle mesure. À titre d’exemple, Pfizer et Moderna ont ainsi refusé tout partage de technologie avec une initiative de plusieurs pays d’Afrique incluant la start-up d’Afrique du sud Afrigen. Cela reporte la mise au point d’un nouveau vaccin à ARNm à 2024. Les pays du nord ont les moyens d’y contraindre les firmes par l’intermédiaire des contrats.

Quand elles aboutissent, les initiatives volontaires sont des écrans de fumée, dans la mesure où elles n’augmentent pas réellement la concurrence. Il s’agit de sous-traitance et d’accords commerciaux entre firmes, ce qui revient à maintenir une concentration du marché, notamment en ce qui concerne la matière première. Ces accords ne résoudront donc pas la très problématique question de l’augmentation unilatérale des prix des vaccins par les multinationales. Pire, les producteurs « non autorisés » pour différentes raisons commerciales ne pourront pas produire, même si certains pays où la législation le permet leur en donnaient le droit.


Pourquoi les licences obligatoires ne sont pas ici une solution adaptée ?

Qu’est-ce qu’une licence obligatoire ?

La licence obligatoire (LO) est aujourd’hui promue comme une solution par l’Europe (alors qu’aucun pays européen ne l’a par ailleurs utilisé pendant la crise du COVID), contre la levée des brevets. La LO est une flexibilité prévue par l‘article 31 des accords ADPIC sur la propriété intellectuelle. Elle est donc bien distincte de la levée des brevets. Fruit des pressions de l’industrie pharmaceutique, notamment du laboratoire Pfizer, les accords ADPIC, signés en 1994 et appliqués à partir de 1995, imposent au monde un standard élevé de respect de la propriété intellectuelle. Lors des négociations, les pays pauvres et à revenus intermédiaires ont réussi à faire inscrire un certain nombre de flexibilités, comme la licence obligatoire/d’office, qui peut être soit émise par un gouvernement soit par un tribunal.

En novembre 2001, lors d’une réunion de l’OMC à Doha, les États membres, poussés par les pays pauvres et à revenus intermédiaires et les sociétés civiles, ont signé une déclaration soutenant le droit à recourir à des flexibilités telles que la LO dans le cadre des politiques de santé publique, notamment des trois grandes maladies, sida, paludisme, tuberculose. Les pays riches utilisent fréquemment les LO dans divers domaines industriels. Cela leur permet par exemple de lever les brevets sur divers composants électroniques pour permettre à leur industrie nationale de les rassembler quand elle construit des voitures, un avion, etc. Dans le secteur pharmaceutique, certains pays riches y ont eu recours ou l’ont utilisée comme levier. A la suite du 11 septembre 2001, George W. Bush a menacé Bayer d’émettre une LO sur un produit contre l’Anthrax pour obtenir une réduction des prix.


Pourquoi les licences obligatoires ne sont-elles pas les plus adaptées à la situation actuelle ?

Les dispositions générales de l’accord ADPIC, telles que les LO, doivent être retranscrites dans le droit national. Or, les pressions de l’industrie pharmaceutique sur le législateur pour que les législations aillent dans leur sens ne rencontrent pas toujours la résistance nécessaire, ce qui se traduit par une diversité des droits nationaux. Preuve des limites de cette disposition, celle-ci n’a pas été utilisée à ce jour dans le cadre des vaccins contre le COVID-19.

Certains pays n’ont pas adapté leur loi et ne peuvent tout simplement pas recourir aux LO par voie administrative, comme l’Afrique du Sud. D’autres comme le Maroc, ont vu les possibilités d’y recourir complexifiées par la signature d’un accord bilatéral avec les États-Unis. D’autres pays ont mis en place des procédures parfois très compliquées qui ralentissent le recours aux LO alors que certains pays ont décidé d’une mise en place rapide. L’hétérogénéité de ces dispositifs implique des délais très différents d’un pays à un autre pour recourir à des génériques. Cette hétérogénéité est incompatible avec la nécessité de coordonner une réponse mondiale à la pandémie.

La demande de levée des barrières de propriété intellectuelle, elle, toucherait en même temps tous les États membres et faciliterait donc une réponse coordonnée. Enfin, le recours aux licences obligatoires isole chaque pays, ce qui accroit sa vulnérabilité face aux pressions économiques ou diplomatiques des multinationales et des pays riches. La levée assure une cohésion entre les États.

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