L’Observatoire était invité, le 26 septembre 2019, à l’Assemblée Nationale par le député François Ruffin (député de la Somme, LFI), pour évoquer la mise en oeuvre de la transparence en France, à l’occasion d’un colloque intitulé « Scandales sanitaires, scandales démocratiques ». Nous publions ici l’intégralité de notre intervention.
« L’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament remercie le Député François Ruffin pour son invitation et cette importante initiative. Nous soutenons les intervenants à ce débat sur les scandales sanitaires, aspect de la transparence qui sort de notre domaine d’expertise direct mais qui n’en reste pas moins primordial. Et nous apportons notre plein soutien aux autres associations et intervenants ici présents.
Nous avons créé l’Observatoire au lendemain de l’Assemblée Mondiale de la Santé en mai dernier, où le gouvernement français, fortement poussée par la société civile, s’est engagé, à mettre en œuvre la transparence dans les politiques du médicament et des produits de santé et y compris sur les prix.
Pourtant, à ce jour, les prix publics publiés au Journal officiel ne sont que les prix affichés, et ils ne prennent pas en considération les volumes, les prix réels payés, les marges des intermédiaires, etc. Ces prix ne concernent par ailleurs que certains produits de santé. Nous demandons une transparence totale.
La transparence dans les politiques du médicament, ce n’est pas une question consensuelle et superficielle. Il s’agit d’un outil fondamental qui doit permettre de guider les politiques publiques en santé. Il est inacceptable que les prix croissants de nouveaux médicaments mis sur le marché menacent notre système de santé basé sur la solidarité. En 2014, les nouveaux traitements de l’hépatite C ont été mis sur le marché autour de 50 000 €. L’achat par l’Assurance maladie de ce traitement pour l’ensemble des personnes touchées par l’hépatite C en France en 2014 aurait représenté 13 milliards d’€, soit presque deux fois le budget total de l’AP-HP en 2014 (7 milliards d’euros) !
Comme nous le dénoncions alors, les prix de ces nouveaux traitements ont créé un précédent, car dès lors plus aucun garde-fou ne permettait de protéger l’Assurance maladie et le CEPS des abus de l’industrie pharmaceutique dans les processus de négociations des prix. En 2017, des thérapies géniques ont été mises sur le marché pour plusieurs centaines de milliers d’euros. En 2019, le prix du Zolgensma, développé en partie grâce à l’argent du Téléthon, a été proposé par la firme Novartis à 2,1 millions d’euros par injection !
La transparence sur les prix, sur qui paie quoi pendant les phases de recherche et de développement, est donc essentielle pour guider les politiques de santé. Il est inacceptable que ces prix arbitraires et illégitimes menacent notre système de santé.
Car l’explosion de ces prix remet en cause la pérennité de notre système de santé, et son principe d’universalité. Il pousse également à négliger des dépenses à des postes de santé pourtant cruciaux.
Les scandales sanitaires, ce sont aussi, de notre point de vue, le manque de moyens qui menace la sécurité des usagers dans les services d’urgence, dont plus de 200 sont en grève depuis des mois et essuient le mépris du gouvernement actuel. Les scandales sanitaires ce sont aussi l’Aide médicale d’État (AME) et la Couverture Médicale Universelle (CMU) qui sont remis en cause pour des raisons prétendument économiques mais surtout populistes par le gouvernement actuel. Les scandales sanitaires ce sont aussi les critères d’éligibilité qui ont été mis en place pour limiter l’accès aux traitements de l’hépatite C en 2014 et 2015 au motif du prix très élevé des nouveaux médicaments, dont la légitimité, elle, n’a jamais été remise en cause.
Les scandales sanitaires c’est le fait de constamment privilégier les intérêts des multinationales pharmaceutiques à ceux des personnes et à l’intérêt public.
Pour mettre en œuvre la résolution sur la transparence de l’AMS, nous avons donc élaboré une « check-list », dont l’objectif est de lister quelques points qui doivent permettre d’ores et déjà au gouvernement d’établir la transparence. Car il est inacceptable, que l’on ne connaisse pas le détail des dépenses allouées à chaque produit de santé. Il est inacceptable également, qu’on ne puisse pas faire la lumière sur les abus des multinationales pharmaceutiques en matière de brevets. Les brevets accordent des monopoles pour une durée de 20 ans. En principe, ils doivent récompenser une invention par ce monopole. Mais l’étape inventive et la nouveauté doivent être rigoureuses pour en justifier l’octroi. Pourtant, on notera qu’un antiviral comme le tenofovir aura été breveté pendant une durée totale de 50 ans. Au départ, sa molécule, puis ses pro-drogues, puis ses usages, contre le VIH, contre l’hépatite B, ou encore son utilisation en préventif. Pourtant, on notera que la recherche publique française notamment, à travers l’Agence Nationale de recherche sur le sida (ANRS) ont contribué à financer les essais pour déterminer l’action préventive de cette molécule. C’est donc la recherche publique française, entre autres, qui a contribué au développement de ce médicament, alors que la multinationale qui l’a mis sur le marché en récolte seule les très larges bénéfices.
Si l’on creuse, on se rend compte que les outils diagnostics de l’hépatite C, comme le FibroScan et le FibroTest ont également été développés grâce à de l’argent public, par des chercheurs de l’INSERM, de l’AP-HP, d’universités et d’écoles publiques et de l’ESPCI (école supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris). Pourtant les bénéfices sont là aussi privés. Notre système de santé paie donc une seconde fois pour ces technologies développées avec de l’argent public. Il est temps que nous nous ré-approprions les médicaments et produits de santé, largement financés grâce aux contribuables. Ce sont nos médicaments.
Nous attendons des parlementaires qu’ils se saisissent de cette question et qu’ils proposent des textes concrets à l’Assemblée, comme des propositions de lois.
Et nous attendons également du gouvernement une mise en œuvre immédiate de la résolution sur la transparence proposée à l’Assemblée Mondiale de la santé. La France ne peut continuellement se cacher derrière le fait qu’elle n’est qu’un pays parmi d’autre, et qu’elle doit d’abord attendre l’action des autres pays, alors que des pays comme l’Italie ont déjà pris des mesures pour mettre en œuvre la résolution, notamment en ce qui concerne les conditions de remboursement des médicaments. Le gouvernement français doit faire de même, sans délais. »
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