Le 20 février, le JDD a publié un sondage IFOP plaçant la santé comme le premier enjeu « déterminant au moment du vote » lors de l’élection présidentielle pour 74% des électeurs. Pourtant, à moins de deux mois du premier tour, nos organisations s’inquiètent du peu de place qui est consacré à ce sujet dans les débats. Nos organisations appellent les candidats et les médias à être à la hauteur des demandes des citoyens et des enjeux en matière de santé et de politiques publiques, notamment en matière de lutte contre les conflits d’intérêts, de politiques du médicament et de politiques en liens avec l’alimentation et la santé.
Toutes ces questions en amènent d’autres : quelle place souhaite-t-on donner à la santé dans notre société ? Comment sauver notre système de santé et garantir l’accès de tous à des soins de qualité ? Comment promouvoir cette vision de santé à l’internationale ? C’est la préoccupation première des citoyens, avant même celle du pouvoir d’achat, et c’est pourtant une question majoritairement absente des débats à l’élection présidentielle.
Reprendre la main sur les politiques publiques
Jamais, l’urgence de mettre la santé au cœur des politiques n’aura été aussi forte qu’après ces deux années de pandémie de COVID-19, qui a révélé au grand public les inégalités en santé, mondiales et nationales, ainsi que les dysfonctionnements structurels qui affectent en France l’hôpital public, la recherche, la production et l’approvisionnement en médicaments, vaccins et produits de santé. Chaque citoyen a fait l’expérience des conséquences immédiates des défaillances du système de santé sur son quotidien immédiat et sur l’économie du pays. Les récentes informations révélées dans le livre Les infiltrés (Matthieu Aron, Caroline Michel-Aguirre, Éditions Allary, février 2022) montrent par ailleurs l’emprise des cabinets de conseil sur les politiques publiques en santé menées en France, notamment pendant la crise. Les nombreux contrats signés avec des cabinets privés posent la question des conflits d’intérêt avec le secteur privé, et de l’affaiblissement structurel des administrations en charge de mener les politiques publiques en santé, alors que dans le même temps des moyens essentiels au bon fonctionnement de l’hôpital public sont régulièrement ponctionnés.
Reprendre la main sur les politiques du médicament
Par ailleurs, la lutte contre le diabète offre de nombreux exemples des enjeux autour de l’importance de mener des politiques de santé cohérentes : les enjeux autour de l’accès à l’insuline et de son prix à travers le monde imposent de mettre en place la transparence sur toute la chaine du médicament et de repenser le système de fixation du prix des produits de santé, comme le recommandait dans son avis n°135, le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) sur l’accès aux innovations thérapeutiques. L’accès aux vaccins contre le COVID-19, la prise en charge de nouveaux médicaments ou dispositifs médicaux sont autant d’exemples qui invitent à repenser largement ces politiques et envisager la mise en place de pôles publics du médicament.
Aborder l’alimentation également sous le prisme de la santé
Les liens entre alimentation de mauvaise qualité, le développement des Maladies Non Transmissibles comme le diabète ou les maladies cardiovasculaires, qui raccourcissent l’espérance de vie, sont désormais bien établis. De nombreuses études montrent aujourd’hui ces liens entre santé et alimentation. Une modélisation par des chercheur-ses parue le 8 février dans Plos montre par exemple qu’une alimentation « riche en légumineuses, céréales complètes, fruits à coque, et fruits et légumes, et pauvre en viande, pouvait faire gagner plus de dix ans d’espérance de vie à un individu nord-américain aujourd’hui âgé d’une vingtaine d’années (10,7 ans pour une femme, 13 ans pour un homme) par rapport à un régime alimentaire occidental moyen, où la consommation de féculents, produits laitiers et viande est plus importante. ».
Par ailleurs, on estime qu’en moyenne chaque Français absorbe 35 kilos de sucre par an. Les aliments plus sucrés ou plus salés ont souvent pour objectif de faire oublier la qualité médiocre du produit, et leur consommation conduit souvent à des comportements addictifs et des consommations absurdes. Dans les départements d’outre-mer (DOM), les aliments vendus sont plus sucrés qu’ailleurs. On estime que le coût de la prise en charge des maladies liées à la mauvaise alimentation s’élève à 50 milliards d’euros par an, sans compter les complications pour les personnes qui auraient pu être évitées. Les débats sur la qualité de vie, le pouvoir d’achat, l’espérance de vie en bonne santé doivent impérativement prendre en compte ces considérations. Pourtant, de façon peu compréhensible, les débats sur l’alimentation qui ponctuent la campagne depuis deux mois ne tiennent pas compte de cette réalité.
Renforcer l’approche nationale et le leadership en santé mondiale
La santé mondiale est en pleine mutation sous l’effet du changement climatique, de la mondialisation des échanges et des connaissances, des transitions démographiques, économiques et épidémiologiques, de l’explosion des maladies non transmissibles et de nouveaux enjeux de nutrition, et des épidémies nouvelles comme le COVID-19. Face à tous ces défis, la réponse mondiale doit s’adapter et la France réaffirmer un leadership réel depuis trop longtemps abandonné.
Les Nations Unies soutiennent un nouvel Agenda du développement 2030 et de nouveaux Objectifs de développement durable (ODD). L’OMS milite pour la mise en place de la Couverture Santé Universelle (CSU). Suite à l’Accord de Paris pour le climat, les enjeux d’adaptation face au réchauffement climatique sont désormais mieux reconnus et justifient de penser la santé de façon intégrée, associant les enjeux de santé humaine et de santé animale (One health), ou de santé environnementale (pollution de l’air, villes «vertes»…). Tous les acteurs, États du Nord et du Sud, doivent réviser leurs approches et travailler mieux ensemble, de façon plus intégrée alliant les capacités des États et de la société civile mondiale. La France doit réinvestir massivement la santé mondiale pour redevenir le pilier qu’elle a été historiquement. Pour faire face aux nouveaux enjeux sanitaires et réaffirmer un leadership réel dans le domaine de la santé mondiale, la France doit se doter d’une stratégie qui soit réellement innovante et ambitieuse, et mobiliser des ressources à la hauteur des enjeux.
Nous appelons les candidats, mais aussi les médias, à répondre aux attentes des citoyens et à faire enfin de la santé une priorité de cette campagne.