L’Humanité : « Covid-19. Et maintenant, doit-on recourir à l’obligation vaccinale ? »

Publié le 6 décembre 2021 Dans la catégorie : Tribunes

Alors qu’explose une cinquième vague d’infection, la question de santé publique de rendre la vaccination obligatoire nécessite une réponse d’ordre médical, mais aussi politique. Pour en débattre : Jean-Daniel Lelièvre, expert vaccins à la Haute Autorité de santé, chef de service des maladies infectieuses de l’hôpital Henri-Mondor ; Pauline Londeix et Jérôme Martin, cofondateurs de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament ; et Richard Benarous, ancien directeur du département des maladies infectieuses à l’Institut Cochin.


Oui, à condition d’un consensus large
et d’un calendrier précis

Par Jean-Daniel Lelièvre : expert vaccins à la Haute Autorité de santé, chef de service des maladies infectieuses de l’hôpital Henri-Mondor.

Si le recours à la vaccination obligatoire est un acte politique, on peut se questionner sur l’existence d’un rationnel scientifique pouvant venir supporter cette obligation. Peu de scientifiques remettent en question l’impact positif, en termes de santé publique, d’une vaccination contre le Covid. Afin d’appréhender la question de l’obligation vaccinale dans le contexte du Covid, il faut rappeler l’histoire de celle-ci et ne pas oublier que chaque vaccination est particulière.

Si une obligation vaccinale contre la variole est mise en place en Angleterre au milieu du XXe siècle, il faudra un demi-siècle pour que la décision soit prise en France. Dans notre pays, cette décision était déconnectée du contexte épidémique survenant bien après les grandes bouffées épidémiques de variole. Le vote par le Parlement, plus de dix ans après son application, d’un décret conduisant à la prescription de la vaccination et à la revaccination en cas de guerre, calamité ou de danger épidémique, est un aveu d’échec de facto de cette obligation. Les vaccins suivants sur la liste seront ceux contre la diphtérie (1938), puis contre le tétanos (1940).

Dans les années 1950, ce sera au tour de la vaccination BCG de devenir obligatoire pour les enfants et jeunes adultes, et ce, alors même que les limites de l’efficacité vaccinale du BCG sont bien connues. Si la vaccination anti-poliomyélite est rendue obligatoire dans les années 1960, les cas de polio induits par le vaccin Salk et les encéphalites post-vaccinales avec le vaccin anti-variole mettent en avant les possibles inconvénients des vaccins, d’autant plus visibles que l’incidence des infections diminue, voire disparaît pour la variole. Depuis janvier 2018, onze vaccins (diphtérie, tétanos, poliomyélite, coqueluche, Haemophilus influenzae, pneumocoque, hépatite B, méningocoque C, rougeole, oreillons, rubéole) sont devenus obligatoires pour les enfants de moins de 2 ans. Cette décision a été prise après une concertation large de différents acteurs appartenant notamment à la société civile.

Fait important : l’adhésion de la population à cette dernière obligation augmente au cours du temps. Si l’on considère la vaccination contre le Covid à l’aune de ces vaccinations rendues obligatoires, force est de constater que l’efficacité de celui-ci est supérieure à celle de certains vaccins obligatoires (pneumocoque, coqueluche…). Par ailleurs, la tolérance de ce vaccin est comparable à celle des vaccins obligatoires. Enfin, le contexte épidémique actuel est beaucoup plus préoccupant que celui existant quand l’ensemble des autres vaccins décrits ci-dessus ont été rendus obligatoires. La différence majeure est sans doute l’absence de visibilité sur le schéma vaccinal à long terme, du fait notamment de la variabilité attendue du virus, les vaccins obligatoires étant dirigés contre des pathogènes assez stables génétiquement.

La comparaison avec les autres vaccinations rendues obligatoires par le passé montre dès lors qu’il n’y a pas de raison de ne pas se poser la question de l’obligation vaccinale avec le vaccin contre le Covid. Toutefois, celle-ci doit être portée politiquement et faire l’objet d’un débat et d’un consensus impliquant l’ensemble des acteurs de la société, et reposer sur un calendrier précis, afin d’aboutir à une adhésion la plus large possible, l’histoire nous ayant appris la difficulté de sa mise en place pratique.

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