L’Humanité : « Sortir de la sidération et refuser la destruction de l’hôpital public »

Publié le 5 octobre 2020 Dans la catégorie : Tribunes

Une tribune de Pauline Londeix et Jérôme Martin, membres fondateurs de l’Observatoire de la Transparence dans les Politiques du Médicament (OTMeds).

Nous savons tous – responsables politiques, médias, citoyens – que l’austérité est en train de détruire l’hôpital et notre système de santé publique. Depuis vingt ans, des dizaines de milliers de lits hospitaliers ont été supprimés, l’activité à l’hôpital augmente, notamment aux urgences, mais le recrutement des personnels ne suit pas. La hausse des suicides, la médiatisation de patient-e-s attendant dans les couloirs sur des brancards pendant des heures, les grèves et les manifestations sont autant de preuves des menaces croissantes contre l’hôpital. Pourtant, l’action politique ne change pas.

Ce ne fut pas la grippe…

Même si le gouvernement actuel n’est pas le seul responsable, Emmanuel Macron a, depuis 2017, accéléré la destruction de l’hôpital. La première vague du Covid-19 qui aurait dû être une alerte supplémentaire ne semble pas avoir servi de leçon pour le gouvernement actuel. Bien que l’économie de notre pays puisse être paralysée par les conséquences du manque de moyens mis dans les hôpitaux et les urgences, le gouvernement continue de faire le choix des coupes et des mesures austéritaires.  Malgré les alertes des personnels soignants depuis des années, et en particulier lors d’une mobilisation sans précédent l’année dernière, le gouvernement avait déjà, il y a un an, assumé des coupes gigantesques avec cynisme et aplomb à l’occasion du Projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) pour 2020. Pourtant les soignants avaient prévenu : « En cas d’épidémie, nous ne pourrions pas faire face ». Ils évoquaient alors l’hypothèse d’une forte menace grippale. Ce ne fut pas la grippe.

Le prix que nous allons devoir payer

Après l’arrivée du COVID-19, au plus haut de la première vague en mars et avril, les soignant-e-s se sont mobilisé-e-s pour sauver des vies et faire tenir notre pays. Mais sept mois plus tard, bien loin d’avoir tiré les enseignements de la première vague, le gouvernement persiste et signe dans sa destruction de l’hôpital public. Les mesures d’austérité sont prises et assumées alors que nous savons tous ce que signifie la destruction programmée de l’hôpital public. Les attaques sont sur tous les fronts, la crise sanitaire en cours, qui aurait dû être l’occasion de réformer l’hôpital pour qu’il soit performant et accessible, ne devient plus qu’un prétexte supplémentaire pour le ruiner et réduire encore les dépenses publiques. Nous savons tous le prix que nous allons devoir payer d’un pays sans un système hospitalier performant et solidaire. 

De même, nous savons tous que la santé publique est sacrifiée en France. Des spots de prévention contre le VIH à l’échange de seringues en prison, des concessions faites aux lobbys de l’agro-alimentaire à la gestion des stocks de médicaments, nous savons que la santé publique passe après d’autres impératifs qui lui sont contradictoires : ordre moral, logiques répressives, intérêts financiers de quelques-uns. Et nous savons tous le prix que nous payons de cette relégation de la santé publique.

Nous ne comprenons pas

Et pourtant, rien ne se fait pour la sauver. Au contraire, on assiste, en pleine crise sanitaire, à des dysfonctionnements quotidiens qui illustre le caractère criminel des politiques mises en place depuis 20 ans, et l’incompétence des ministres passés et présents et des institutions en charge. Nous ne comprenons pas la désorganisation qui règne dans le pays et qui nous expose à un éventuel nouveau confinement, ou d’autres mesures de restriction avec les conséquences sociales et économiques, mais aussi sanitaires ou psychologies dramatiques et pourtant évitables. Nous ne comprenons pas qu’on laisse sans réagir Santé Publique France manifester avec fierté son incompétence : des médicaments essentiels périmés avant la crise, ce qui était le cas de 95 % des antiviraux, une pénurie de masques, de diagnostics, aucun effort pédagogique sur les gestes-barrière, la répression des comportements individuels comme outil central de leur promotion alors qu’on la sait inefficace.

Nous ne comprenons pas le manque de moyens humains et matériels contre la pandémie, notamment à l’Éducation nationale – où le rectorat de Créteil, par exemple, ne s’est même pas doté d’un référent Covid-19 ; nous ne comprenons pas non plus le refus d’envisager une planification des besoins en dépistage, permettant de faire évoluer une offre de tests, de prévenir les pénuries et l’engorgement que nous connaissons aujourd’hui et que des responsables compétents et soucieux de notre santé auraient su éviter ou amoindrir, et de penser, oui, penser, une stratégie de traçage des cas contacts efficace. Nous ne comprenons pas le refus d’impliquer l’ensemble des acteurs, notamment locaux, mais également privés, par exemple ceux de la restauration, comme c’est le cas dans d’autres pays ; nous ne comprenons pas pourquoi rien de tout cela n’a été entrepris. 

Médicament : l’urgence de la transparence

Nous refusons de voir notre pays paralysé à cause des erreurs des politiques austéritaires menées depuis des années et renforcées par le gouvernement actuel. Nous refusons de voir les populations les plus précaires, les plus vulnérables et les plus exposées au virus sacrifiées, tout comme les personnes souffrant d’autres pathologies accumulant des retards dans la prise en charge et dans l’accès aux soins. 

Nous savons tous que l’argent existe. Cette année encore, dans le cadre du PLFSS pour 2021, nous appelons le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour sauver l’hôpital public et également à mettre en place la transparence sur tous les aspects des politiques du médicament. Comme l’année dernière, notre Observatoire propose des amendements en ce sens. La transparence est une urgence pour guider les politiques publiques en santé et pour sauver notre système de santé publique.

Des années de dogmatisme

Alors que les pénuries de médicaments vitaux se multiplient depuis plus de dix ans, mettant en danger la vie de nombreuses personnes, et que nous avons manqué de médicaments essentiels pendant la première vague du COVID, Matignon a arbitré en juillet dernier en faveur des industriels, faisant passer leurs obligations de garantir un stock de quatre mois de médicaments à deux mois (et parfois un mois !). 

Nous refusons de voir notre système de santé publique mis à mort sous nos yeux. La première étape nous semble être de sortir de la sidération et de poser les mots : nous savons tous que, si nous ne réagissons pas maintenant pour sauver l’hôpital et la santé publique, il sera trop tard dans quelques mois. C’est pourquoi, il doit être mis immédiatement un terme aux politiques d’austérité visant l’hôpital public. Si notre hôpital public s’écroule, c’est notre pays entier qui s’écroulera, et nous ne pouvons accepter de voir ce bien commun si précieux et si essentiel pour notre société mis à mort par des années de dogmatisme austéritaire au service des profits de quelques uns et des mois de crise sanitaire d’incurie, d’incompétence et de cynisme. 

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Catégorie Tribunes
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