C’est maintenant que l’exécutif peut et doit corriger ses erreurs dans la gestion de la crise sanitaire car elles nous mettent toutes et tous en danger. C’est donc maintenant qu’il est nécessaire de les dénoncer publiquement, et le gouvernement doit, enfin, en tenir compte. Tribune parue dans l’Humanité lundi 6 avril 2020.
Selon le chef de l’État, des membres du gouvernement et de la majorité, il serait irresponsable de dénoncer leurs erreurs et manques dans la réponse à la pandémie. Cela briserait l’unité nationale. L’urgence voudrait que l’on reporte à plus tard l’évaluation des erreurs et fautes.
On notera à quel point il faut mépriser la démocratie pour croire que le pluralisme et la prise en compte des critiques s’opposeraient à l’efficacité des mesures à prendre contre une menace urgente.
Le dépistage du virus du COVID-19 est restreint. Or, la dynamique de l’épidémie repose pour une bonne part sur les contaminations par des personnes asymptomatiques. Elargir la capacité de dépistage était nécessaire et concrètement possible dès février. Si le ministre de la santé a enfin infléchi son discours sur la « doctrine » française en la matière – sans garantie que les mesures nécessaires soient prises depuis cet infléchissement – seulement pour l’après confinement, c’est bien parce que nous étions plusieurs à marteler à quel point son erreur de départ nous mettait en danger.
Que de temps gagné, si au lieu de tenir pour irresponsables les critiques et propositions concrètes de la société civile, ce pouvoir, si coupé du réel, les avait toutes prises en compte le plus tôt possible, au lieu de se réfugier vers un habillage médical de la gestion de la pénurie, des mensonges patents et aujourd’hui un effort de communication sans transparence sur les mesures effectivement prises ! Depuis, des journalistes ont montré des dysfonctionnements très importants dans l’utilisation des moyens de dépistages existant en France, pointant des retards incompréhensibles dans des prises de décisions par le ministère de la santé.
On voudrait que les critiques se taisent alors que la gestion désastreuse du gouvernement Edouard Philippe amène à des pénuries de médicaments essentiels et que le Premier ministre refuse de prendre toutes les mesures indispensables pour y faire face, à commencer par une programmation nationale, la réquisition des lignes de production, la réaffectation des lignes non essentielles, une importation en urgence, une coordination européenne, et un contrôle des exportations.
Des responsables de l’AP-HP se sont tourné-es vers nous car le ministre de la santé ne leur répondait pas. Il faut prendre la mesure de cet incroyable dysfonctionnement. Des responsables hospitaliers sollicitent une structure sans subvention, reposant sur le bénévolat, car le pouvoir ne leur répond pas sur … des alertes de pénurie de médicaments !
Nous avons donc interpellé le gouvernement le jeudi 26 mars, l’opinion publique le 27 puisque Matignon n’a pas répondu en 24 heures et que chaque jour compte. Le samedi 28, Edouard Philippe annonçait que le gouvernement envisagerait des réquisitions quand il aurait « le sentiment » que c’est nécessaire. Mais comment peut-on fonder une politique de crise sur un « sentiment » quand on se coupe des lanceurs d’alerte qui sont sur le terrain ? Faudra-t-il les premiers témoignages de patient-es mourant d’étouffement parce que les médicaments pouvant les soulager ne sont plus là pour qu’Edouard Philippe change de « sentiment » ?
Une semaine plus tard, Edouard Philippe ou Olivier Véran ne sont même pas capables de donner des chiffres précis sur l’état des stocks et la capacité de production à court terme dont nous disposons. Soit ils ne les connaissent réellement pas, et c’est un effroyable aveu d’incompétence, soit ils les connaissent et veulent les taire car ils sont au plus bas.
Publiquement, ils minimisent les pénuries. Pour se défausser, ils tiennent un discours fataliste – le même que celui justifiant leur incompétence sur la pénurie des masques : la demande mondiale serait hors-norme. Mais c’est précisément parce qu’elle est hors-norme qu’il faut agir à la hauteur et ne pas se contenter des dispositifs existants, héritiers des politiques de plusieurs décennies qui ont contribué à aggraver la crise sanitaire. Comment ne pas voir l’incohérence qu’il y a à plaider la gravité exceptionnelle de la situation pour défendre une politique qui refuse des mesures exceptionnelles, les seules efficaces ? Et il faudrait se taire face à une telle incohérence qui risque de tuer ?
Celles et ceux qui demandent aux critiques de se taire sont les mêmes qui, au nom de la restriction des dépenses publiques et des logiques de néo-mangement, ont soutenu le démantèlement de l’hôpital public, la restriction des personnels, la privatisation et la délocalisation de la production des biens de santé, qui nous rendent aujourd’hui dépendant-es et nous empêchent de faire face aux pénuries ou augmenter notre capacité de dépistage. On ne peut changer en quelques semaines le résultat désastreux de trente ans de politique libérale. Mais on doit au moins dire, et le gouvernement doit l’acter, qu’on ne peut conserver face à la crise les mêmes réflexes qui l’ont aggravée.
Sans doute que personne ne pouvait prédire la propagation de ce virus. Mais on savait déjà, car des urgentistes en grève depuis un an et demi l’avaient dit, que les hôpitaux ne pouvaient faire face à un pic épidémique ; le cabinet du ministre de la santé savait déjà, car plusieurs lui avaient dit, en juillet ou en octobre, que les mesures existantes pour lutter contre les pénuries de médicaments étaient insuffisantes et qu’il fallait stimuler la production locale ; l’actuel ministre de la santé savait, car nous le lui avons proposé dans un amendement qu’il a rejeté en tant que rapporteur du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qu’il était nécessaire de faire toute la transparence sur la chaîne de production des médicaments et des réactifs, notamment pour identifier rapidement des producteurs de matières premières en cas de pénurie1Et la liste est longue. On savait déjà que les prisons ou les centres de rétention administratives sont des aberrations sanitaires et qu’il faut les vider en cas d’épidémie. On savait déjà que la politique migratoire met en danger les étrangers et demandeurs d’asile, que les dispositifs d’accueil des femmes victimes de violence est insuffisant, que la culpabilisation est contre-productive en matière de messages de santé publique, que les livreurs, caissières, éboueurs, personnels de ménage, etc. sont considérés comme des êtres sacrifiables. Ce ne sont que quelques exemples..
L’enjeu n’est pas de dire : « on vous l’avait bien dit. » L’enjeu est de comprendre que l’urgence de la situation impose un virage à 180° pour ne plus suivre les politiques qui ont contribué à la gravité de la crise. Il n’y a pas lieu d’attendre pour préparer le monde de demain, à moins de vouloir compter plus de morts pour savoir qui avait raison. Il ne peut y avoir d’union sacrée derrière une incompétence généralisée qui nous menace toutes et tous.
A celles et ceux qui veulent faire taire les voix critiques et constructives, nous rappelons le premier slogan d’Act Up-Paris : « Silence = Mort ». Nous n’attendrons pas demain pour choisir le camp de la vie.
Ex vice-présidente et président d’Act Up-Paris, Pauline Londeix et Jérôme Martin ont co-fondé l’Observatoire de la Transparence dans les Politiques du Médicament.
Notes
- 1Et la liste est longue. On savait déjà que les prisons ou les centres de rétention administratives sont des aberrations sanitaires et qu’il faut les vider en cas d’épidémie. On savait déjà que la politique migratoire met en danger les étrangers et demandeurs d’asile, que les dispositifs d’accueil des femmes victimes de violence est insuffisant, que la culpabilisation est contre-productive en matière de messages de santé publique, que les livreurs, caissières, éboueurs, personnels de ménage, etc. sont considérés comme des êtres sacrifiables. Ce ne sont que quelques exemples.