Communiqué du 30 juin sur l’intervention française à l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle. Nous appelons la France à respecter ses engagements en matière de transparence sur les brevets et à aller plus loin.
Du lundi 24 au mercredi 27 juin s’est tenu à Genève le comité permanent sur les brevets de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Un des points à l’ordre du jour touchait aux relations entre brevets et santé. Nous publions et commentons l’intervention française à ce propos, intervention qui fait suite à une semaine d’échanges avec les représentant-es français-es. Nous appelons la France à respecter ses engagements en matière de transparence sur les brevets et à aller plus loin.
Les enjeux
La transparence et l’accès à l’information en matière de statut des brevets est un enjeu stratégique majeur pour les producteurs de génériques et les centrales d’achat de médicaments, et donc pour l’accès à la santé à travers le monde. Mais cette information est très difficile d’accès, alors que pourtant, celle-ci est publique et devrait être facilement accessible. Rappelons qu’un brevet est un titre de propriété intellectuelle octroyé en échange de sa publication afin notamment de contribuer à la recherche et à la société en général. L’opacité en matière de statut des brevets est donc une des premières dérives du système de propriété intellectuelle et une première barrière à l’accès aux médicaments.
En septembre 2018, l’OMPI, en partenariat avec l’industrie pharmaceutique, l’International Federation of Pharmaceutical Manufacturing Associations (IFPMA), a mis en place une nouvelle base de données sur les brevets « Pat-Informed ». Cette base de données venait s’ajouter à Patentscope, l’autre base de données de l’OMPI, plus exhaustive mais comportant un certain nombre de lacunes : impossibilité de faire des recherches par la dénomination commune internationale (il faut déjà avoir le numéro d’un brevet pour pouvoir effectuer une recherche) et manque de liens et d’informations sur les phases nationales. Car le droit des brevets est un droit territorial, où chaque pays ou bureau régional étudie les demandes de brevets et a la possibilité de les rejeter.
Si Pat-informed permet des recherches par la DCI, ce qui constitue une avancée par rapport à Patentscope, la base de données est exclusivement alimentée par les informations de… l’industrie pharmaceutique, sans qu’en plus cela ne soit explicité sur le site internet. Ce que l’OMPI ne précise pas non plus, c’est que les informations qui sont publiées par Pat-Informed, ne sont pas vérifiées par l’OMPI, ce qui pose un évident problème d’intérêts… En effet, les firmes pharmaceutiques auront souvent intérêt, à prétendre avoir un brevet ou ne pas en avoir dans un pays donné, en fonction de leur stratégie commerciale dans ce pays et leurs concurrents génériques. Dans tous les cas, elles n’auront jamais intérêt à montrer qu’une version générique alternative existe dans un pays et à encourage des centrales d’achats à y avoir recours. En outre, la base de données mentionne exclusivement les brevets octroyés, et fait donc l’impasse sur les demandes de brevets en cours, les demandes de brevets rejetés, les brevets révoqués, opposés ou les accords de licence signés.
Pourtant l’intérêt principal d’une telle base de données est de permettre à une centrale d’achat, à un producteur de génériques ou à un gouvernement de déterminer si oui ou non ils peuvent recourir à une version générique, moins chère. Si les informations proviennent exclusivement de l’industrie pharmaceutique détentrice de droits, et ayant un lien d’intérêt, cette information ne peut être neutre. Pourtant, le fait que Pat-Informed soit hébergé par le site d’une organisation liée aux Nations-Unies, l’OMPI, donne une impression de neutralité.
La mobilisation et la déclaration française
A la veille de cette session, nous avons donc interpellé la délégation française. Nous lui avons demandé de défendre une position conforme à la résolution Transparence prise fin mai à l’Assemblée mondiale de la santé. Nous l’avons donc appelée à défendre la publication par l’OMPI d’une base de données, fiable, complète et dont les sources sont transparentes et vérifiées, sur les brevets protégeant médicaments et produits de santé.
Suite à notre sollicitation, François Rivasseau, ambassadeur français permanent à l’ONU, a fini par accepter d’organiser une réunion avec les conseillers juridiques de la mission permanente de la France à Genève avec l’Observatoire et des expert-es des liens entre brevets et santé. Cette réunion était nécessaire et a permis la prise en considération par les représentants français des problèmes posés par l’absence de transparence en matière de statuts de brevets sur l’accès aux médicaments. Nous nous réjouissons que notre intervention l’ait permise.
Au lendemain de cette réunion de travail, la délégation française, qui ne devait au départ pas intervenir, prenait la parole sur ce point précis en plénière en comité permanent des brevets : « La France apporte naturellement son soutien à la déclaration du groupe B, et à celle de l’Union Européenne. En outre, et afin de continuer à améliorer l’accessibilité de l’information relative aux brevets portant sur des médicaments, ma délégation formule le souhait que le secrétariat poursuive l’approfondissement de sa collaboration avec l’organisation mondiale de la santé et qu’il encourage l’IFPMA et ses partenaires privés à poursuivre le développement de l’initiative Pat-Informed en cherchant à y associer davantage de sociétés en continuant d’étendre la couverture de sa base de données, à davantage de domaines thérapeutiques et améliorant le nombre et la qualité des données fournies. »
[Voir la vidéo en ligne sur le site de l’OMPI.]
Si cette position est encourageante et témoigne de l’importance pour les représentants français de renforcer leur expertise en matière de santé et de brevets, elle n’en reste pas moins insuffisante, car la France aurait dû demander de manière plus explicite à ce que les informations sur la base de données Pat-Informed soient systématiquement vérifiées.
Car en l’état, François Rivasseau confie à la seule industrie pharmaceutique l’amélioration de la base de données existante. Cela ne résout pas le problème de fond, celui de la vérification par l’OMPI elle-même des informations fournies par des acteurs dont l’intérêt économique s’oppose à une information fiable et complète sur les brevets. Cette amélioration enfin, n’est qu’une première étape, nécessaire mais insuffisante, vers la publication d’un outil indépendant, fiable et complet que nous demandons.
Il est temps pour la France d’enfin aborder la question des brevets sous l’angle de la santé publique, et non sous un angle purement industriel, comme elle ne cesse de le faire en envoyant à l’OMPI principalement des représentants de l’INPI (Institut national de la propriété industrielle). Si l’intervention française témoigne d’une prise de conscience partielle par la délégation française de certains enjeux spécifiques aux brevets et à la santé, elle reste insuffisante.
À l’heure où la France est sur le point d’accueillir la reconstitution du Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, en octobre à Lyon, le gouvernement d’Emmanuel Macron doit prendre conscience du fait que l’augmentation du prix des médicaments et produits de santé (par exemple les nouveaux médicaments contre la tuberculose) va poser de plus en plus de problèmes d’accès aux médicaments et de pérennité des systèmes de santé solidaires, et qu’il est urgent de mettre en place la transparence, toute la transparence, en matière de politique du médicament.