Gilead fixe un prix indécent et illégitime au remdesivir, une molécule dont l’utilité dans le cadre du COVID-19 est évaluée grâce à de l’argent public. Le nouveau premier ministre Jean Castex a les moyens de freiner ces prétentions illégitimes qui ruinent notre système de santé et entravent l’accès universel aux soins.
Le 25 juin 2020, l’Agence Européenne du Médicament (EMA) a recommandé, sous conditions, l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du remdesivir dans le cadre de la prise en charge du COVID-19. Depuis, les annonces se sont multipliées : accaparement par les États-Unis de la quasi-totalité des stocks pour trois mois, prix annoncé par Gilead d’environ 2300 dollars (2045 €) par personne alors que le coût de production estimé est de 75 centimes de dollars (0,67€) par jour et par personne, pour un traitement utilisé pour une durée de 10 jours dans le cadre d’essais.
Autorisation délivrée dans le cadre du COVID-19
Le remdesivir a été utilisé contre le virus Ebola, le MERS, le COV-1. La molécule a donc un intérêt avéré dans le cadre de maladies qui ne concernent pas les pays riches. Dans le cadre du COVID-19, l’impact sur la mortalité n’est pas avéré, mais il a été prouvé que le remdesivir accélérait en moyenne de 4 jours la guérison, particulièrement chez les personnes qui présentaient des symptômes moins graves.
Dans le cadre de la prise en charge du COVID-19, l’EMA a émis une autorisation conditionnelle qui stipule notamment que « le titulaire [Gilead] doit être tenu de terminer ou d’entamer certaines études visant à confirmer que le rapport bénéfice/risque est positif et à répondre à toute interrogation concernant la qualité, la sécurité et l’efficacité du médicament. » L’accélération de la mise à disposition du remdesivir dans le cadre de la prise en charge du COVID-19 n’exonère donc ni le laboratoire Gilead, ni les autorités sanitaires publiques, d’études sur la molécule pour continuer d’évaluer le rapport bénéfices/risques dans cet usage.
Exclusivité des stocks et stratégies commerciales
Un accord entre Gilead et le gouvernement américain réserve la totalité de la production du mois de juillet et 90 % de celle du mois d’août aux États-Unis. Les pays les plus pauvres bénéficient de licences volontaires, accords entre Gilead et des laboratoires producteurs de génériques. Mais qu’en est-il des pays à revenus intermédiaires traditionnellement exclus des licences volontaires de Gilead ou de pays riches comme la France ?
Pour les pays les plus pauvres, les licences volontaires octroyées par Gilead dans le cadre du traitement de l’hépatite C ou de molécules utilisées contre le VIH, elles ont montré leurs limites. Les médicaments arrivent rarement rapidement dans les pays les plus pauvres pour différentes raisons ; délais de production de génériques suite à la signature de l’accord de licence liés notamment à la nécessité de réaliser les études de bioéquivalence, absence d’enregistrement du dossier du princeps par Gilead auprès des autorités sanitaires locales empêchant la mise sur le marché du générique, absence d’intérêt de producteurs pour fournir les marchés en question, etc. Souvent ces annonces de licences volontaires se résument à des stratégies de communication pour les multinationales pharmaceutiques.
De nombreuses études ont montré les limites de ces stratégies commerciales des firmes pharmaceutiques dans les pays les plus pauvres, mais également dans les pays émergents et les pays riches, en matière d’accès pour les personnes et de pérennité pour les systèmes de santé. Il s’agit là d’une conséquence de l’inscription des produits de santé dans les logiques de profits et de l’offre et de la demande. Tant que les médicaments, vaccins, dispositifs médicaux, diagnostics, etc. ne seront pas réinscrits dans des logiques de santé publique et de biens communs, nous serons confronté-es à cette concurrence nationaliste délétère, et les pays continueront à être isolés dans leurs négociations avec les firmes.
Un prix de vente indécent
Gilead vendra le remdesivir aux États-Unis 390 dollars (347 €) la dose quotidienne, pour un prix moyen de traitement sur 6 jours de 2340 dollars (2080 €). Ce prix, qui sera sans doute celui proposé à la France et aux pays à revenus intermédiaires, est exorbitant. Selon l’étude réalisée par Andrew Hill et al., le coût de production d’une dose quotidienne de remdesivir est en effet de 75 centimes de dollars.
Il faut bien comprendre que de tels prix sont prohibitifs et empêchent l’accès aux médicaments dans les pays en développement. C’est le cas depuis plusieurs décennies dans le cadre de la lutte contre la tuberculose, le VIH, les hépatites virales, et de maladies comme le cancer ou le diabète. Les systèmes de santé ne peuvent souvent absorber de telles sommes uniquement pour les achats de médicaments. En 2017, à titre comparatif, une trithérapie contre le VIH a été proposée pour un montant de $75 (67 €) par an par personne à la suite d’un accord entre différents bailleurs internationaux. Il doit être noté qu’à un tel prix, les producteurs de génériques continuent de réaliser des marges importantes.
De plus, Gilead a bénéficié de financements publics pour évaluer l’efficacité de cette molécule contre le COVID-19 : 75 millions de dollars (67 millions d’€), selon l’ONG Public Citizen. En France aussi, ce sont des fonds publics qui financent la recherche et le développement, et l’opacité sur les contributions publiques à la recherche empêche de savoir de quel montant Gilead a bénéficié de la part de l’Etat français.
Gilead est donc en train de demander que nous payions une deuxième fois, et à un prix indécent, le remdesivir. Il s’agit là d’une pratique systématique permise par les logiques du privé et l’opacité qui entoure la chaine du médicament.
Ce que doit faire le gouvernement français
Le gouvernement français doit mettre fin à ce jeu de dupes qui ruine notre système de santé, entrave la disponibilité de traitement et profite aux seul-es actionnaires de l’industrie pharmaceutique.
Il doit assurer immédiatement la transparence sur toutes les aides octroyées à Gilead pour développer le remdisivir, notamment sur les contributions publiques à la recherche.
Le gouvernement doit émettre une licence d’office sur le remdesivir, disposition prévue par le droit international et le droit français, permettant de contourner un brevet pour produire ou importer un générique à un prix bien plus bas, mais également de peser dans le rapport de force avec le fabricant du princeps dans la négociation du prix.
La balle est dans le camp de Jean Castex. Alors que la nomination de ce sarkozyste annonce une accélération des politiques austéritaires, alors que les efforts terribles face à la crise sanitaire et sociales ont été demandés aux travailleurs, aux précaires, le nouveau premier ministre cédera-t-il, comme son prédécesseur, au chantage de l’industrie pharmaceutique ? Ou écoutera-t-il enfin l’intérêt public et de la santé, et rééquilibrera-t-il enfin les dépenses de santé, pour qu’elles cessent d’enrichir les actionnaires de l’industrie et profitent enfin aux citoyen-nes, aux malades et aux soignant-es ?