Pénuries de pilules abortives (misoprostol) : le point au 18 avril 2023

Publié le 18 avril 2023 Dans la catégorie : Communiqués de presse , ,

Que fait le gouvernement pour assurer la sécurité sur la chaine d’approvisionnement de pilules abortives  depuis les courriers des exploitants1 (juin2022, septembre 2022, mars 2023) annonçant le contingentement du misoprostol ?

Pourquoi les administrations et le gouvernement ne répondent-ils pas aux inquiétudes des acteurs de terrain ?

Alors que le ministre de la santé apportait le 8 avril son soutien aux femmes américaines face aux menaces légales et juridiques contre le droit à l’IVG, pourquoi ne répond-il pas aux acteurs de terrain alors que les pénuries menacent ce même droit en France ?

Sur le misoprostol

– Le misoprostol est une pilule abortive qui permet de provoquer l’expulsion de l’embryon. Elle doit être prise 36 à 48 heures après une autre pilule, qui, elle, interrompt la grossesse. Le misoprostol est aussi utilisé en amont des IVG non médicamenteuses et pour l’accompagnement des fausses couches.

Sur les causes et les moyens d’y répondre

– Le misoprostol est sous brevets, il n’y a pas de génériques, ni de produits équivalents. Les monopoles conférés par les brevets permettent à leurs détenteurs, ici Norgine et Nordic Pharma, de concentrer la production des pilules dans un nombre très restreint de sites, que l’opacité entourant la chaine pharmaceutique rend difficile à évaluer précisément.

– Cette concentration de la production rend la chaine d’approvisionnement vulnérable. En cas de problème industriel, d’impuretés, les lignes de production ralentissent ou s’arrêtent, et il n’y a pas de solutions de repli pour maintenir la production à hauteur de la demande mondiale. Une production locale, diversifiée, au moins en partie publique est une réponse pragmatique à ce problème.

– De même, un nombre restreint d’usines et d’exploitants exposent encore plus la fabrication et la commercialisation des produits aux menaces et pressions des groupes anti-IVG. Cette menace est effective, a déjà eu des conséquences sur la production et la commercialisation de pilules abortives2.

– Le problème posé par la concentration de la production sur la chaine d’approvisionnement a déjà fait l’objet d’alerte. Le Haut-Conseil à l’Égalité Homme Femme le mentionnait par exemple dans un communiqué de mai 2020 et demandait une production publique pour garantir l’accès à ces produits3

Sur les alertes et l’absence de réactions du gouvernement et des administrations

– Le groupe Norgine rappelait le 22 septembre qu’il avait signalé des impuretés sur la production en juin 2022 ; le groupe Nordic Pharma a déclaré les tensions le 9 mars 2023, et le produit a été signalé en « tensions » dans la base de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits sanitaires (ANSM). Les alertes de professionnel-les sur des problèmes de disponibilité étaient pourtant déjà lancées depuis plusieurs semaines. Ce décalage entre l’alerte institutionnelle et la réalité de terrain est fréquent en matière de pénuries de médicaments.

– Sollicité-es depuis mars 2023 par plusieurs professionnel-les, des centres de planification et des antennes locales du Planning, inquiets des problèmes de disponibilité auxquels ils devaient faire face, nous avons lancé l’alerte, (d’abord dans une tribune parue dans le Monde daté du samedi 8 avril4, puis par un communiqué de presse du 13 avril5) car ces acteurs et actrices de terrain ne recevaient aucune réponse depuis plusieurs semaines des responsables administratifs (ANSM, Agence Régionale de Santé, Direction Générale de la Santé, Direction Générale de l’Organisation des soins) et politiques interpellés. 

– Les exploitants annoncent dans leur courrier « la mise en place d’un contingentement quantitatif pour le circuit ville et hôpital »6. Aucune information n’est donnée par l’ANSM ni le gouvernement sur les modalités de ce contingentement, sur l’état des stocks et leur évolution.

Sur la gravité de la situation

– Le terme officiel de « tensions » ne permet pas de mesurer la réalité de la disponibilité d’un produit sur le terrain. Une pénurie se traduit par un contingentement ou une indisponibilité de fait sur un territoire donné. Les témoignages des professionnels montrent qu’il y a bien pénuries de pilules abortives par endroits et par séquences. Il est inacceptable qu’un médicament aussi important soit indisponible, ne serait-ce qu’une semaine.

– Sur plusieurs territoires, le misoprostol a été ou est encore difficile, voire impossible à trouver pour des centres de santé ou de planification, par exemple à Lille début avril, à Versailles, à Issy-les-Moulineaux. La recherche de solutions détourne le temps des soignants et plonge dans l’angoisse les personnes qui ont besoin d’un accès rapide.

– 76 % du total des IVG sont médicamenteuses, qu’elles soient réalisées en établissement ou non7. Si l’IVG médicamenteuse devenait impossible à pratiquer, le besoin ne pourrait donc pas être pourvu par des IVG non médicamenteuses. Restreindre le choix dans les méthodes d’avortement à cause des pénuries serait en soi déjà très grave, mais ce serait concrètement une solution peu viable, surtout que le misoprostol doit aussi être utilisé pour d’autres formes d’avortements et pour l’accompagnement des fausses couches, et que les hôpitaux sont frappés par un manque de personnels, aggravé par les ponts et les vacances de cette période.

La suite

– Le site de l’ANSM annonce une date de remise à disposition pour fin avril. Par le passé, les dates de remise à disposition de l’ANSM ont souvent été dépassés8. Qu’est-ce qui nous garantit que cette date sera ici respectée ? Qu’est-ce qui est fait pour que la situation ne s’aggrave pas d’ici les deux prochaines semaines ?

– Quand le gouvernement et les élus prendront-ils enfin conscience de l’urgence à agir contre les pénuries, qui sont multi-factorielles et structurelles et qui, si rien n’est fait, ne feront que s’aggraver ?

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1https://ansm.sante.fr/uploads/2022/09/22/20220922-rs-angusta-courrier-norgine-22-09-2022.pdf

https://ansm.sante.fr/uploads/2023/03/09/20230309-rs-misoone-gymiso-courrier-ps.pdf

2https://www.leparisien.fr/sentinelles/pilule-abortive-les-feministes-inquietes-reclament-une-relocalisation-de-la-production-en-france-02-07-2022-AJ5CN62DEZFXPEZP6KCWZGAWW4.php

https://www.courrierinternational.com/long-format/portrait-les-mille-et-une-vies-de-l-inventeur-francais-de-la-pilule-abortive

3« La production des médicaments utilisés pour les IVG médicamenteuses est dans les mains d’un seul producteur, le groupe Nordic Pharma, avec des risques de rupture de production et d’approvisionnement et de pression sur les prix. […] Le HCE recommande aux pouvoirs publics d’exercer un vrai contrôle sur ces produits, d’avoir des stocks d’au moins quatre mois pour les produits indispensables, de relocaliser la fabrication en Europe et en France et de garantir la production des médicaments non rentables en les nationalisant. »
https://haut-conseil-egalite.gouv.fr/sante-droits-sexuels-et-reproductifs/actualites/article/penurie-de-medicaments-un-risque-d-atteinte-aux-droits-sexuels-et-reproductifs

4https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/07/l-acces-aux-soins-ne-pourra-etre-reel-que-si-ce-systeme-est-repense-avec-une-approche-feministe_6168626_3232.html

5https://otmeds.org/communique-de-presse/alerte-aux-penuries-de-pilules-abortives-misoprostol-droit-a-livg-que-fait-le-gouvernement/

6https://ansm.sante.fr/uploads/2022/09/22/20220922-rs-angusta-courrier-norgine-22-09-2022.pdf

https://ansm.sante.fr/uploads/2023/03/09/20230309-rs-misoone-gymiso-courrier-ps.pdf

7https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-09/er1241.pdf

8Ainsi, le laboratoire exploitant le belatacept, un anti-rejet très important notamment pour les personnes ayant bénéficié d’une greffe de rein, annonce-t-il depuis au moins 5 ans que le problème de disponibilité qui restreint le nombre de bénéficiaires sera résolu à la fin de l’année.

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