Un arbitrage gouvernemental en faveur des entreprises pharmaceutiques révèle une énième collusion entre le gouvernement et les industriels, aux dépens de la santé publique et de la disponibilité des médicaments : quel désastre sanitaire supplémentaire faut-il pour qu’Emmanuel Macron, Jean Castex et Olivier Véran cessent de sacrifier l’intérêt général ?
L’arbitrage qui vient d’être opéré concerne l’application d’une loi votée par les parlementaires en décembre 2019, et qui obligeait notamment les industriels à constituer des stocks de médicaments. Cette mesure, issue d’un consensus, faisait suite à de nombreux rapports associatifs (notamment de France Asso Santé), parlementaires et institutionnels sur le sujet. Elle imposait aux industriels de constituer des stocks de médicaments pour au moins 4 mois.
Bien que cette mesure constitue un premier pas, la durée de 4 mois restait très insuffisante par rapport à ce qui se passe dans d’autres pays. Pendant l’été, cédant aux demandes des industriels, le gouvernement a réduit ce délai à deux mois en vidant de sa substance le projet de décret d’application de la loi.
Loin de tirer les leçons de la crise sanitaire en cours, qui a révélé la dépendance sanitaire française et notre vulnérabilité, l’exécutif arbitre encore en faveur des industriels. Nous dénonçons cette énième atteinte à la santé publique et à l’intérêt général, et cette énième collusion entre le gouvernement et des lobbys privés.
Entre la santé publique et les industriels, le gouvernement choisit encore les industriels.
Le problème des pénuries de médicaments est un problème structurel qui ne cessera de s’amplifier si rien n’est fait : les ruptures ou pénuries recensées sont passées en 10 ans de 44 en 2008 à plus de 1200 en 2019, soit trente fois plus.
- Aucune classe thérapeutique réellement épargnée : les pénuries et ruptures touchent des catégories variées de médicaments et produits de santé, allant des antibiotiques aux traitements utilisés contre le VIH, les cancers, les vaccins, ou encore les médicaments utilisés dans les protocoles pour les fins de vie.
- Un phénomène structurel : les médicaments et produits de santé sont soumis aux logiques de l’offre et de la demande et des profits. Les industriels peuvent donc négliger des marchés qui ne leur semblent pas rentables, même pour des molécules indispensables. De plus, pour réduire les coûts de mains d’œuvre, les groupes ont délocalisé la production. Nous dépendons maintenant à 80 % de la Chine et de l’Inde, ce que personne n’a pu ignorer quand ces deux pays ont vu leur activité industrielle réduite du fait du confinement.
- Un impact dramatique en terme de prise en charge : les pénuries de médicaments peuvent avoir des conséquences terribles dans le cadre d’une prise en charge d’une maladie chronique ou non en terme de perte de chance pour une personne, de détérioration de l’état de santé ou de prise en charge de la douleur.
- Des conséquences dramatiques pendant la première vague du COVID : en mars et avril dernier, des médicaments utilisés pour la sédation profonde ou pour l’intubation ont connu de « très fortes tensions ». Concrètement, le manque de ces médicaments a obligé les hôpitaux à amender eux-mêmes les protocoles de soins pour économiser les stocks restants. Les soignants expliquent même qu’ils ont dû, pendant le week-end de Pâques, siphonner les perfusions pour économiser la moindre goutte. S’il ne semble pas y avoir eu de ruptures massives dans les services COVID, c’est aussi parce que ces médicaments ont été supprimés des protocoles dans les unités de soins palliatifs, en gériatrie et dans les EHPAD. Bien loin de produire en quantité suffisante les produits dont nous avons besoin, les industriels ont refusé de réaffecter des lignes de production à ces médicaments, estimant que cela leur coûterait trop cher. En filigrane, ils réclamaient d’avantage d’aides publiques. Le gouvernement, de son côté, a refusé de réquisitionner les sites de production récemment fermés et disposant de toutes les infrastructures pour produire ces médicaments, comme le site de Sanofi à Romainville et celui de Famar à Lyon.
Pour lutter contre les pénuries, nous demandons, a minima, à ce qu’une réserve nationale de médicaments essentiels soit constituée, comme cela se pratique dans d’autres pays. Face au manque de volonté manifeste des industriels, seule une planification sanitaire accompagnée d’une production publique locale des médicaments dont nous avons besoin répondra aux problèmes des pénuries.
En septembre, lors d’une conférence de presse en Corse, Emmanuel Macron affirmait que les scientifiques n’avaient pas été élus et qu’ils ne dirigeaient pas la France. Les industriels non plus n’ont pas été élus. Pourtant, le gouvernement ne cesse d’arbitrer en leur faveur, contre les intérêts publics. Or, la crise sanitaire majeure que nous vivons depuis mars dernier nous montre que les politiques publiques en santé et la planification sanitaire sont essentielles pour guider le pays, et qu’elles font cruellement défaut.