Non, les génériques ne sont pas responsables des pénuries de médicaments

Publié le 3 mai 2020 Dans la catégorie : Communiqués de presse

Ces derniers jours, on commence à voir fleurir un « argument » repris directement à l’industrie pharmaceutique: les vieux médicaments, disponibles sous forme générique, ne seraient pas vendus assez chers en France, leur production n’intéresserait plus les multinationales, et ce serait donc la cause des pénuries de médicaments. Non, les génériques ne sont pas responsables de ces pénuries.

Depuis dix ans, les pénuries de médicaments se sont multipliées en France, comme le montrent les chiffres de l’ANSM, et comme l’ont documenté différentes associations d’usagers. Pendant la crise du COVID-19, des hôpitaux ont dû revoir leur protocole car ils ne disposaient plus de stocks en quantité suffisante en ce qui concerne les médicaments de réanimation. Malgré cette crise, l’industrie pharmaceutique a refusé les investissements nécessaires pour réaffecter en urgence et  à hauteur des besoins les lignes de production non essentielles mais plus rentables et les dédier à la fabrication des médicaments de réanimation manquants. Ce n’est pourtant pas faute d’argent. Sanofi, par exemple, vient de distribuer 4 milliards d’euros de dividendes pour le premier trimestre 2020. 

Ces derniers jours, malgré l’annonce de Sanofi, et malgré l’ensemble des enquêtes publiées par les médias sur le sujet, on commence à voir fleurir dans différents médias un « argument » repris directement des entreprises du médicament : les vieux médicaments, dont les brevets sont tombés dans le domaine public, ne seraient pas vendus assez chers en France, c’est pour cela qu’ils n’y seraient plus produits. Ils n’intéresseraient plus les multinationales et seraient donc la cause des pénuries.

Pourtant, les ventes de génériques à un euro la boîte rapportent eux aussi énormément d’argent aux producteurs de génériques. Des études sur les coûts réels de production des médicaments ont montré que même à un très bas prix, ces ventes représentaient des sommes très importantes pour les producteurs de génériques. La mise en lumière de ces coûts de production très réduits ne devrait donc pas stigmatiser la production de génériques, mais devrait au contraire, souligner l’illégitimité des prix très élevés des autres médicaments ou des princeps, souvent développés avec des fonds publics. 

Cet « argument » qui n’en est pas un complète un arsenal de pression sur les pouvoirs publics : partie délocaliser la production de médicaments pour des raisons de profits, l’industrie pharmaceutique relocaliserait en France ce qui répondrait aux pénuries si et seulement si on lui garantissait encore plus de profits, par des incitations fiscales, par une augmentation des prix des médicaments. Pourtant, cette industrie est déjà bien dotée de financements publics.


Car les prix des nouveaux médicaments n’ont cessé d’exploser ces dernières années, alors que par ailleurs les risques liés à l’innovation sont assumés en grande partie par le secteur public. Et ces médicaments aux prix de plus en plus élevés pèsent très lourds sur les dépenses de l’Assurance maladie, alors même que le secteur public a déjà en partie financé leur développement par les aides publiques à la recherche. En décembre dernier, un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 (« PLFSS2020 ») demandant la transparence sur les financements publics de la recherche avait été adopté par les parlementaires avant d’être invalidé par le Conseil constitutionnel. Cet amendement aurait permis, s’il avait été suivi d’un décret, de faire la lumière sur l’importance des contributions publiques. D’autres amendements, rejetés par les députés, sénateurs et ayant reçu des avis défavorables du gouvernement, demandaient de faire la lumière sur les prix et origines de la matière première et des principes actifs. Eux aussi ont été rejetés.

Si les multinationales ne jugent plus ces médicaments assez rentables pour les produire en France, ceux-ci doivent être produits par le secteur public sans plus tarder. La France doit reprendre en main sa planification sanitaire et sa production de médicaments, de réactifs, principes actifs, masques, autres produits de santé, dans des conditions de production éco-responsables et en respectant les normes environnementales. Car il n’est pas non plus éthiquement acceptable que les pays asiatiques absorbent les conséquences en matière environnementale, de la pollution occasionnée par les productions de très nombreux médicaments (y compris de nombreux médicaments sous brevet) pour l’ensemble de la planète. 

Comme nous l’exposions dans une tribune publiée par le journal Libération le 20 avril 2020 :

Depuis des semaines, les Entreprises du médicament (LEEM), syndicat qui défend les intérêts de l’industrie pharmaceutique, concentre sa communication dédiée aux pénuries de médicaments vitaux sur des atermoiements au sujet des tensions extraordinaires du marché international. Mais si la situation est exceptionnelle et l’augmentation de la demande mondiale indéniable, cela implique en réponse que des mesures exceptionnelles soient prises, notamment une réorganisation de la production impliquant de sacrifier ce qui est non essentiel. Le LEEM refuse de faire tous les efforts nécessaires, trop coûteux à l’en croire et se contente d’accompagner la pénuries et les changements des protocoles de soins. Cela ne fait que renforcer nos inquiétudes quant à la qualité de la prise en charge des malades du Covid-19, de l’ensemble des patients en attente de soins et de ceux et celles en soins palliatifs, Ehpad et services de gériatrie.

Quant aux brevets, ils ne sont pas synonymes d’innovation. Pour preuve, les multiples abus des firmes, comme ceux documentés dans cette tribune publiée par le journal Le Monde en janvier 2020 :

Cet exemple est loin d’être unique. Bien que développés par la recherche publique française, des outils de suivi des hépatites virales sont aujourd’hui sous brevet d’entreprises privées qui sont les seules à bénéficier des profits des ventes. Dans le domaine de la tuberculose, la bédaquiline, véritable avancée, a été développée en grande partie grâce à des financements publics et caritatifs. De son côté, l’entreprise française Sanofi cherche à breveter une combinaison de molécules, découvertes il y a plusieurs décennies, et à la vendre au prix fort alors même que l’intérêt de cette combinaison a été démontré grâce à des financements de l’organisation internationale Unitaid, donc de l’argent public.

Non, les génériques ne sont pas responsables des pénuries de médicaments. Au contraire, les génériques ont permis à des millions de personnes à travers le monde d’avoir accès à des traitements vitaux, notamment dans les pays les plus pauvres, quand les multinationales refusaient de baisser leurs prix.  

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