Depuis trois semaines, les tensions et pénuries sur des médicaments essentiels ne cessent d’être rapportées. Toutes les mesures doivent être prises au plus vite en France pour combattre ces pénuries, y compris la planification nationale, les réquisitions et une forte coordination européenne. C’est une urgence absolue.
Il y a un peu plus d’un mois, le 12 mars, alors qu’Emmanuel Macron tenait sa première allocution annonçant des mesures exceptionnelles contre l’épidémie de COVID-19, nous l’invitions à prendre une série de mesures pragmatiques indispensables, l’une d’elle portait sur la mise en place d’une production locale publique de médicaments et produits de santé en France.
Depuis trois semaines, les tensions et pénuries sur des médicaments essentiels ne cessent d’être rapportées, en réanimation, en soins palliatifs, en gériatrie, en EHPAD et en pharmacies de villes. Ces tensions et pénuries ont par ailleurs largement été documentées par les médias (cf. liste ci-dessous).
Le 7 avril, nous rappelions, rejoints par 150 personnalités et organisations venues d’horizon très divers, et soutenus par des collectifs de soignants, qu’au vu de l’explosion mondiale de la demande de ces molécules, au vu du contexte de dépendance de puissances étrangères en matière de production de médicaments, toutes les mesures devaient être prises au plus vite en France pour combattre les pénuries, y compris la planification nationale, les réquisitions et une forte coordination européenne.
Le dogmatisme est une impasse
Sur ce sujet, comme sur tant d’autres, Emmanuel Macron et son gouvernement ont refusé de suivre la voie du pragmatisme et ont suivi celle d’une idéologie déconnectée de la réalité, comme lors de la conférence de presse d’Edouard Philippe le 28 mars, lorsque ce dernier a déclaré que les réquisitions pouvaient être contre-productives. Le gouvernement a minimisé l’ampleur des pénuries de médicaments, proposé une simple gestion de la pénurie (économies, substitution de traitements entrainant un rabaissement du standard de soins, et notamment la souffrance, commandes arrivées in extremis) et une répartition à vue, chaotique, au coup par coup, des stocks nationaux. Sur le long terme, ils tablent sur une simple incitation des entreprises nationales pour faire face à l’ampleur du problème.
Le LEEM, représentant les intérêts des entreprises du médicament, a pourtant été très clair dans un document rendu public le 9 avril [ajout 13/04 : le LEEM a déclaré à l’APM News le 9 avril qu’ils « n’envisageaient pas de réorienter certaines lignes de production »]. Les producteurs nationaux refuseront de s’adapter aux besoins car cela leur coûterait trop cher, et ils ne se sentent pas assez compétents pour adapter leurs usines à des besoins éventuellement nouveaux. Le gouvernement ne peut donc compter sur la bonne volonté des industriels, qui refusent de sortir des logiques de la rentabilité à court terme, les mêmes qui sont suivies depuis trente ans et qui nous ont dépossédés de la production des biens de santé, les mêmes qui ont affaiblies à l’extrême notre système de santé.
Comment peut-on continuer à penser que le marché régulera seul la forte demande pour ces médicaments en tensions ou déjà en rupture ? Comment Emmanuel Macron pourrait-il s’entêter dans cette voie dogmatique ? Comment sortir d’une crise dans la crise, la pénurie de médicaments essentiels, en suivant les logiques mêmes qui l’ont provoquée ?
Par ailleurs, de potentielles « nouvelles vagues » du virus ou encore les incertitudes autour de l’immunité nous obligent encore davantage à prendre dès maintenant ces mesures essentielles pour sécuriser la prise en charge des personnes en réanimation et dans les autres services.
L’auto-régulation du marché du médicament est une utopie. La santé et les médicaments ne sont pas des biens de consommation comme les autres ; l’ensemble de la chaine de production ne peut être laissée aux industriels seuls. La crise actuelle en est l’illustration parfaite. Même l’Allemagne, l’Espagne et les Etats-Unis n’ont pas hésité à procéder à des réquisitions. Emmanuel Macron ne peut continuer à s’entêter dans le dogmatisme, et doit au contraire opter pour le pragmatisme qui exige qu’il annonce enfin des mesures fortes, telles que la réquisition des lignes de production et la réaffectation des lignes non essentielles à la production de médicaments en tension.
D’autres mesures s’imposent également : la coordination inter-ministérielle pour le moment invisible, une planification industrielle sur la base d’une centralisation des informations sur les stocks et les manques, l’identification de producteurs disponibles, y compris de matière première, la mise en place d’une coordination européenne en urgence sur ce sujet et la mise en place d’autorisation préalable à l’export pour les médicaments en tension.
Liste non exhaustive des articles publiés, depuis le 26 mars, sur le sujet des pénuries de médicaments en France :
- 2 Avril, Le Monde, « Coronavirus et médicaments : les « astuces » de l’AP-HP pour essayer d’économiser les stocks«
- 2 avril, Le Monde, « Coronavirus : inquiétude mondiale sur les inévitables pénuries de médicaments »
- 2 avril, Libération, Check-News, « Covid-19 : des médecins ont-ils eu pour consigne de moins utiliser certains médicaments, dont la morphine ?«
- 9 avril , Le Figaro, « Coronavirus: risque de rupture de médicaments essentiels«
- 7 avril , Paris Match, « Pénurie médicaments Covid-19 : « Les patients risquent de mourir en souffrant«
- 9 avril , Mediapart, « Médicaments face au Covid-19: faute d’anticipation, le système D »
- 12 avril, L’Obs, “Alerte à la pénurie de médicaments : « On navigue à la petite semaine, je ne sais pas comment on va faire »
- 4 avril, France Info, « Notre stock se compte plutôt en jours » : des « médicaments de première ligne » risquent de manquer en pleine épidémie de Covid-19«
- 4 avril, BFMTV, « Un appel à témoignages pour dénoncer le manque de moyens dans les hôpitaux«
- 31 mars, L’humanité, « Risque de pénurie de médicaments : qu’est ce que le gouvernement attend pour réquisitionner ? »
- 30 mars, Ouest France, « Coronavirus. Tension sur les médicaments de réanimation«
- 3 avril, Le Parisien, « Coronavirus : une adresse mail pour dénoncer le manque de moyens à l’hôpital«
- 1er avril, Le Figaro, « Coronavirus: tensions sur les médicaments de réanimation«
- 28 mars, L’Obs, “Des hôpitaux s’inquiètent d’une possible pénurie de médicaments indispensables en réanimation”
- 26 mars, Le Monde, « Des stocks de médicaments sous tension dans les services de réanimation«
- 30 mars, Le Monde, « Coronavirus : des associations de soignants demandent, par référé, la « réquisition des moyens de production » de médicaments et matériel«
- 31 mars, Le Figaro, « Coronavirus: tensions sur les médicaments de réanimation«
- 31 mars, Le Monde, « Médicaments : neuf grands hôpitaux européens lancent un appel à l’aide«
- 2 avril, Allodocteur, « Pénuries de médicaments : « C’est un scandale sanitaire »«
- 3 avril, Le Monde, « Coronavirus : le Conseil d’Etat rejette les référés d’associations qui demandaient la « réquisition des moyens de production » de médicaments et matériel »
- 2 avril, Usine nouvelle, “La France n’aurait plus que 15 jours de stocks de produits anesthésiants face au COVID 19”
- 27 mars, Mediapart, « Médicaments pour soigner le COVID-19 : des hôpitaux au bord de la pénurie »