Le manque de volonté politique, notamment en France et en Europe, est l’obstacle principal à l’augmentation de la production mondiale de vaccins, bien plus que la complexité de la fabrication ou le transfert de technologies. En voici trois preuves.
Plusieurs exemples prouvent que la production peut rapidement s’accélérer grâce à la levée des brevets, pourvu que la volonté politique soit là :
- La preuve la plus flagrante que le transfert de technologie et la production peuvent être simples et rapides nous a été apportée par Moderna en 2020. Comme le rappelle l’association Prep For All sur Twitter, Moderna reçoit 483 millions de dollars d’argent public pour lancer une production à plus grande échelle des vaccins dont les essais préliminaires augurent de résultats encourageants. Le 1er mai 2020, Moderna délègue à Lonza, un laboratoire suisse, la production de ses vaccins. Lonza aménage l’équipement de deux de ses sites de production, en Suisse et aux Etats-Unis (New Hampshire). Comme le signale Prep4all : « Rappelez-vous qu’avant l’été 2020, Lonza n’avait jamais fait d’ARNm thérapeutique. Mais avec le transfert de technologie de Moderna, la société a pu faire les premières doses dans les 2 mois suivant l’accord. » Au 31 décembre, ce laboratoire avait produit 20 millions de doses. En 8 mois. C’est-à-dire le temps qui s’est écoulé entre le premier dépôt de demande de levée de brevets à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et aujourd’hui.
- Par ailleurs, l’exemple de Teva, un des plus grands fabricants de génériques au monde, montre que la capacité de production existe, et qu’elle est entravée par la propriété intellectuelle et la mauvaise volonté des détenteurs de brevets. En février, Teva avait proposé aux multinationales de sous-traiter une partie de la production de vaccins, ce qu’ils ont refusé. Si dès octobre, les pays riches avaient soutenu la levée des brevets, Teva aurait pu se passer de longues négociations avec les multinationales et apporter sa forte contribution à la production mondiale.
- Enfin, en février dernier, la ministre déléguée à l’industrie Agnès Pannier-Runacher annonçait l’ouverture en France de quatre sites de production à partir de mars. Selon elle, ce travail aboutissant à cette extension de la production aurait commencé en juin. Huit mois, ont donc été nécessaires pour ouvrir de nouveaux sites dans le cadre contraint des brevets, qui ont ralenti les négociations et la mise en place de la production. Si la France et les pays riches avaient soutenu la demande de levée de brevets dès son dépôt, il y a 8 mois, aujourd’hui, des usines en France, en Europe, dans le monde, auraient pu se rendre disponibles, sans être ralenties par des négociations avec les laboratoires princeps pour aider à produire les quantités de vaccins suffisante pour toute la planète.
Refuser la levée des brevets au motif que leur effet prendrait trop de temps relève donc de la mauvaise foi. C’est aussi incohérent de la part de dirigeants politiques qui ont attendu 8 mois pour soutenir cette demande de brevets à l’OMC, 8 mois pendant lesquels, on le voit, la production de vaccins biosimilaires aurait pu être mise en place à une échelle suffisante pour viser un accès universel.
Les arguments qui sont opposés aujourd’hui à la levée des brevets sont les arguments classiques auxquels l’industrie pharmaceutique nous a habitué-s depuis plusieurs décennies : le fait que la propriété intellectuelle ne serait pas le problème pour augmenter l’accès aux produits de santé, les arguments autour de la capacité de la production, de la complexité présumée de celle-ci et de la qualité. Il y a vingt ans, lorsqu’on écoutait les multinationales pharmaceutiques, produire des médicaments contre le VIH de qualité sous forme générique relevait de la même impossibilité.
C’est pourquoi, plutôt que de s’enfermer dans un discours dogmatique, qui est celui des industriels, en exagérant la difficulté de la production, les problèmes de transfert de technologie ou les délais de mise en œuvre, le gouvernement français et la Commission européenne doivent, sans attendre les négociations à l’OMC en mai et juin, annoncer leur soutien officiel à une levée des brevets, participer à identifier des sites de production facilement adaptables en Europe et France, et œuvrer dès maintenant au transfert de technologies.