Communiqué et lettre ouverte du 24 juin 2019. Nous publions la lettre que nous avons envoyée à François Rivasseau, ambassadeur de la France à l’ONU, qui représentera ce pays lors de la session spéciale de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Nous lui demandons de défendre la vraie transparence pour les brevets sur les médicaments et produits de santé.
Présentation du document et des enjeux
L’Organisation Mondiale de la Propriété intellectuelle (OMPI) réunit son comité permanent du droit des brevets (SCP) du lundi 24 juin au mercredi 27 juin. Le point 8 à l’ordre du jour, débattu lundi après-midi et finalisé mercredi, portera sur « les brevets et la santé ».
En accordant un monopole sur les médicaments pour une durée minimum de 20 ans, le système, opaque, des brevets entrave l’accès aux traitements et produits de santé (diagnostics, vaccins). Nous constatons depuis plusieurs années une explosion du prix des médicaments sous brevet. Les brevets, censés récompenser la recherche et le développement (R&D) et inciter les entreprises pharmaceutiques à investir en R&D semblent au contraire provoquer l’effet inverse : les avancées scientifiques sont moins nombreuses alors que le nombre de brevets déposés explose.
Et ce monopole entraine une explosion des prix. Cette inflation exorbitante compromet les systèmes de santé solidaires et empêche les malades des pays pauvres d’accéder à des traitements vitaux et menace nos systèmes de santé solidaires. L’opacité entourant ce système ne permet pas d’évaluer la légitimité de ces prix imposés par l’industrie pharmaceutique : de très nombreux médicaments ont par exemple été développés grâce à l’argent public. Au nom de quoi l’argent public devrait-il maintenant les payer, très cher, aux actionnaires de groupes privés ?
Cela illustre bien la dérive d’un système qui était au départ censé récompenser par un monopole une invention en échange de sa divulgation dans le but d’en faire profiter l’ensemble de la société et la recherche.
La transparence dans les politiques du médicament présuppose, entre autres, de pouvoir identifier les brevets existant dans le monde pour chaque médicament. Nous avons besoin d’une base de données fiable et complète en la matière. Il faut aussi qu’elle soit fonctionnelle, facilement utilisable. Or, rare sont les bases de données qui permettent une recherche des brevets grâce à la DCI (la dénomination commune internationale) ou le nom du médicament, si bien qu’il est très difficile de lier des brevets à un médicament.
Les centrales d’achats ou les producteurs de génériques doivent pouvoir recourir à un outil leur permettant d’évaluer leur marge de manœuvre afin de permettre l’accès aux médicaments et produits de santé génériques, des copies légales de traitements sous brevets bien moins chères. Une base de données non fiables est un frein à cette activité, donc une entrave à l’accès aux traitements et produits de santé.
Depuis l’automne dernier, l’OMPI a mis en place une nouvelle base de données sur les brevets protégeant des médicaments, « Pat-Informed » (en parallèle de son autre base de données, exhaustive, « Patentscope » mais ne permettant pas d’effectuer de recherches par la DCI). Mais l’Organisation ne précise pas que ces informations émanent seulement… de l’industrie pharmaceutique de marque, en l’occurrence de la International Federation of Pharmaceutical Manufacturing Associations (IFPMA). Une agence des Nations-Unies relaie donc, sans les vérifier, les informations fournies par des entreprises qui ont tout intérêt à se présenter comme les seuls détenteurs des brevets, partout, tout le temps.
« Pat-Informed » pose donc un réel problème de transparence des données sur un sujet vital. A l’occasion de cette session spéciale de l’OMPI nous avons donc demandé à l’ambassadeur permanent à l’ONU François Rivasseau, de plaider pour que l’OMPI publie une base de données fiable, complète, fréquemment mise à jour et transparente quant à ses sources, sur les brevets existant partout dans le monde sur les médicaments.
Celui-ci nous a opposé une fin de non-recevoir, sur la base d’arguments techniques biaisés (il nous présente « Pat-Informed » comme étant la meilleure solution possible), et qui ne semble provenir que de seuls experts ayant une conception spécifique de la propriété intellectuelle, et non de spécialistes des liens entre brevets et santé. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé à l’ambassadeur d’organiser une réunion avec de tel-les experts, dont nous-mêmes.
Il nous oppose aussi un argument juridique plus que surprenant. Selon lui, « en l’état actuel du droit international, l’OMPI ne pourrait pas légitimement vérifier ces données », ce qui rendrait impossible une intervention française sur le sujet.
Un organisme des Nations-Unies serait-il illégitime à vérifier les données qu’il publie ? A cette question, incroyable, l’ambassadeur Rivasseau répond par l’affirmative. Alors que la France a soutenu la Résolution Transparence de l’Assemblée mondiale sur la santé et s’est donc prononcé pour que les politiques du médicament soient débattues sur la base d’informations complètes et fiables, nous ne pouvons accepter une telle position.
Nous publions donc notre réponse à François Rivasseau et appelons la France à défendre la publication par l’OMPI d’une base de données fiable, complète et dont les sources sont transparentes et vérifiées.
M. François RIVASSEAU
Ambassadeur,
Représentant permanent
de la France à l’Office des
Nations Unies (ONU) à Genève
Mission permanente
de la France auprès de l’ONU
Objet : Transparence en matière de brevets
sur les médicaments et produits de santé
Référence : OMPI/SCP/24-27 Juin 2019/ Point 8.
« Brevets et santé » et point 11 « travaux futurs »
Paris, le 22 juin 2019
Monsieur l’ambassadeur,
Nous vous remercions pour votre retour. Votre réponse appelle de notre part questions et commentaires détaillés, tant le sujet est vital, et tant votre analyse nous semble biaisée. Nous entendons communiquer, notamment ce présent courrier, dès demain aux médias et organisations qui ont suivi notre travail lors de l’Assemblée mondiale de la santé et voulons être sûr-es d’avoir compris la position française.
Pour résumer nos remarques : nous ne sommes pas convaincu-es par vos arguments techniques et juridiques qui s’opposeraient à la vérification des données publiées par l’OMPI et au recueil d’informations fiables et complètes. Certains de ces arguments nous inquiètent.
Tout d’abord, nous souhaiterions savoir si les arguments détaillés dans votre réponse reposent exclusivement sur les informations que vous avez reçues par l’Institut National de la propriété industrielle (INPI), ou si des expert-es de la santé, du ministère de la santé par exemple, ont été consulté-es. La France sera-t-elle, lundi à l’Organisation Mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), représentée, pour la discussion sur ce point sur « brevets et santé » uniquement par des membres de l’INPI ou également par des spécialistes de la santé ?
En ce qui concerne vos réponses apportées en lien avec la base de données Pat-INFORMED, les arguments listés dans votre lettre ne peuvent nous satisfaire et en réalité ils renforcent nos inquiétudes. La base de données Pat-INFORMED ne présente pas de manière claire les informations qu’elle publie, ni ceux qui y contribuent. Il n’est fait mention nulle part en page d’accueil du fait que la base de données reposerait exclusivement sur la contribution volontaire de l’industrie pharmaceutique et que ces informations ne sont pas vérifiées par l’OMPI.
Pourtant il est très clair que des intérêts divergents s’opposent. D’un côté celui des firmes pharmaceutiques qui ont un intérêt évident à se montrer comme étant les seules en mesure de produire et fournir un médicament, et de l’autre l’intérêt public, qui repose sur le processus de mise en concurrence et la possibilité d’acheter à plusieurs fabricants différents. La présence de très nombreux brevets peut créer de la confusion pour les centrales d’achat nationales et internationales, qui préféreront peut-être éviter le recours aux médicaments génériques, alors que pourtant ces derniers n’enfreindraient pas le brevet en question. En effet, la seule existence d’un brevet donné sur un médicament peut très bien ne pas bloquer la production ou l’achat auprès d’un autre producteur (par exemple, un producteur de génériques).
Si la base de données reflète uniquement les intérêts de l’industrie pharmaceutique, cela pose un évident problème. C’est pourquoi, l’OMPI ne peut pas légitimer des informations seulement fournies par une des parties intéressées. L’OMPI doit défendre l’intérêt public, en vérifiant quels brevets peuvent ou non bloquer la concurrence.
S’il est impossible pour l’OMPI de vérifier ces informations malgré ce conflit entre ces intérêts antagonistes, alors l’OMPI ne doit pas publier ces informations, car la publication par l’OMPI de celles-ci donne une impression d’impartialité et peut aboutir à l’effet opposé à son objectif affiché.
La transparence suppose l’accès à une information fiable, complète et indépendante de tout conflit d’intérêt. Il y a atteinte à ce principe de transparence dans le fait que les informations publiées sur ce site hébergé par l’OMPI ne soient pas vérifiées par celle-ci.
Vous affirmez dans votre réponse qu’« en l’état actuel du droit international, l’OMPI ne pourrait pas légitimement vérifier ces données » alors même qu’elle les publie, donc les cautionne. Nous souhaitons savoir à quel point du droit international vous faites référence. Il nous semble qu’une institution des Nations Unies a le devoir, et non le droit, de vérifier les informations qu’elle met à disposition. Nous avons donc besoin de connaître les articles de droit international sur lesquels vous fondez votre analyse qui permettraient à une instance de l’ONU de ne pas vérifier les informations qu’elle publie. Contrairement à ce que vous dites, la France peut donc exiger la vérification et de ces informations par l’OMPI. Elle le doit.
Nous vous proposons en annexe, en guise de première étape, concrète mais très insuffisante, quelques propositions très simples afin de clarifier, pour les utilisateurs, le type d’informations fournies par Pat-INFORMED. Mais ces quelques mesures, indispensables, ne suffiront pas à en faire un outil fiable et complet. C’est donc une autre base de données qu’il faut promouvoir. Nous demandons donc que la France intervienne pour que l’OMPI vérifie les données qu’elle publie et fournisse dans les plus brefs délais un outil fiable et complet.
Dans l’attente, nous vous prions d’agréer, Monsieur l’ambassadeur, l’expression de nos salutations distinguées.
Jérôme MARTIN
Co-fondateur
Pauline LONDEIX
Co-fondatrice
CC : Mme Agnès BUZYN, Ministre de la santé et des solidarités, Mme Stéphanie SEYDOUX, ambassadrice santé mondiale, Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, M. Jean-François PACTET, Sous direction du développement humain, Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, M. Francis GUÉNON, conseiller économique, mission permanente à Genève.