« A trois mois des élections, Emmanuel Macron veut-il laisser en héritage la dilapidation de l’argent public au seul bénéfice des actionnaires d’une multinationale qui conduit une stratégie de R & D désastreuse ? »
Emmanuel Macron ne s’est pas encore déclaré officiellement candidat, mais l’annonce par le Premier ministre d’un « plan massif de réinvestissement de Sanofi en France » vaut tous les programmes électoraux en matière de politiques du médicament. A trois mois des élections, Emmanuel Macron veut-il laisser en héritage la dilapidation de l’argent public au seul bénéfice des actionnaires d’une multinationale qui conduit une stratégie de R & D (Recherche et Développement) désastreuse ?
Ce vendredi 28 janvier, en déplacement en Alsace, Jean Castex a indiqué qu’il annoncerait « dans la deuxième quinzaine de février un plan massif de réinvestissement de Sanofi en France, parce qu’il faut repartir de l’avant. »
Il répondait ainsi par une annonce favorisant une multinationale privée aux demandes de soignants épuisés par deux ans de COVID-19 et deux décennies d’austérité budgétaire, aggravée sous Emmanuel Macron. Ce décalage entre les préoccupations des soignants et la réponse signe déjà le mépris pour les personnels hospitaliers, leurs patients et les acteurs du système de santé en général.
De plus, malgré l’opacité entourant la chaine du médicament, notamment sur les aides publiques que reçoivent des firmes comme Sanofi sous des formes très diverses, certaines informations suffisent pour s’interroger quant à cette annonce et on peut se demander pourquoi Emmanuel Macron refuse d’en tenir compte :
La stratégie de Sanofi se solde par un nombre très restreint d’innovations répondant aux besoins réels en santé. Sur quels éléments se fonde Emmanuel Macron pour affirmer que cet échec serait exclusivement dû à un manque de soutien public alors qu’il refuse de faire toute la transparence sur la chaine du médicament, se privant donc des moyens d’évaluer l’impact réel de toutes les aides reçues par Sanofi ? Compte-t-il rassembler et rendre publics les montants exhaustifs de toutes ces aides et leur impact en matière de mise sur le marché de médicaments dont la population en France a besoin ?
Les dividendes de cette multinationale ont augmenté de 235% entre 2006 et 2018 et ont atteint 4 milliards d’euros en 2020. Cette augmentation bénéficiant aux actionnaires se fait au détriment des investissements en R & D puisqu’entre 2006 et 2018, la part des bénéfices reversée aux actionnaires est passée de 35,6% à 55,3%. Emmanuel Macron tient-il compte de ces données quand il entend financer encore plus la firme ? Si oui, assume-t-il de financer un modèle dont le premier objectif est le profit des actionnaires, plus que le service public en santé rendu ?
Soutenue par de l’argent public, Sanofi a supprimé des milliers de postes de recherche en douze ans et abandonné des pans vitaux de R & D, dont les résistances aux antibiotiques, certaines maladies infectieuses, Alzheimer, la neurologie. Emmanuel Macron tient-il réellement à financer une multinationale qui ne répond pas aux défis sanitaires de notre temps et est le plus souvent en décalage avec les besoins réels des citoyens ?
Le principal blockbuster de Sanofi doit l’essentiel à la recherche publique, Sanofi en vend l’insuline à des prix qui en empêchent l’accès (par exemple aux États-Unis et dans les pays à bas et moyens revenus) et menacent l’équilibre budgétaire des systèmes de santé. Alors que les États-membres de l’OMS, dont la France, s’étaient mis d’accord en mai 2019 pour adopter une résolution incitant à combattre ce type de pratique, Emmanuel Macron entend-il au contraire les encourager et les financer ?
En septembre dernier, Sanofi a abandonné son vaccin à ARN messager contre le COVID-19, non parce qu’il aurait manqué d’efficacité ou de fiabilité, non par manque d’argent public, mais parce que les dirigeants ont estimé qu’il ne leur rapporterait pas assez. Si Emmanuel Macron tient réellement à financer encore Sanofi, quelles conditionnalités entend-il mettre en place pour éviter un gaspillage de l’argent public ? Avec quelles sanctions en cas de transgression ?
Le 6 janvier dernier, Sanofi a été reconnue par la justice responsable d’un scandale sanitaire majeur, celui de la Dépakine. Quel message Emmanuel Macron envoie-t-il à ces victimes avec une telle annonce ?
Tout montre que cette annonce est absurde et dangereuse. Quelles raisons poussent donc Emmanuel Macron à la défendre ? En mai 2020, Sanofi exerçait une forme de chantage sur la France et l’Europe en menaçant de retarder l’accès à un éventuel vaccin contre le COVID-19 s’il ne recevait pas plus d’aides publiques. L’été suivant, Emmanuel Macron s’était empressé de faire droit à ce chantage en visitant un site de la firme sans rien dire d’un nouveau plan de suppression d’emplois. L’annonce de nouvelles aides publiques serait-elle la suite de ce chantage ? A trois mois de la présidentielle, alors que rien de cohérent ou de rationnel ne justifie cette annonce, s’agirait-il d’un appel d’Emmanuel Macron à soutenir sa campagne ?
Nous développons quelques-uns de ces points dans l’article suivant.
Cliquez sur chaque titre pour dérouler les arguments.
Sanofi : des choix qui privilégient les actionnaires
sur les investissements en R & D
Les dividendes des actionnaires de Sanofi ont augmenté de 235 % entre 2006 et 2018, atteignant cette année-là 3 milliards 773 millions d’euros. En 2020, en plein confinement, qui a entrainé précarisation et efforts financiers de la majorité des citoyen-nes, Sanofi répartissait à ses actionnaires près de 4 milliards d’euros. Cette augmentation s’est faite au détriment des investissements dans la R & D. Entre 2006 et 2018, la part des bénéfices reversée aux actionnaires est passée de 35,6 % à 55,3 %.
Sanofi : un financement public conséquent
L’opacité entoure la chaine du médicament. Il est très difficile de rassembler des données exhaustives sur les investissements réels des firmes et les aides publiques reçues. Celles-ci sont nombreuses et de nature très diverse. En mai 2019, les États membres de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) avaient adopté à l’unanimité une résolution visant à faire toute la transparence sur ces informations. Sa retranscription en France reste très insuffisante du fait de blocages politiques. Les informations dont nous disposons ne donnent donc qu’une petite idée de la réalité des aides effectives reçues. Tout investissement public supplémentaire devrait rationnellement passer par la collecte et l’analyse des ces données.
Ainsi, depuis 2010 et l’extension par la ministre de la Recherche Valérie Pécresse du CIR (Crédit Impôt Recherche), Sanofi reçoit sur ce seul poste 150 millions d’euros en moyenne. Se rajoutent d’autres aides, dont d’autres exonérations fiscales, des soutiens directs à la recherche, à l’emploi, à la production.
Mais il faut aussi compter au titre du soutien public l’indemnisation des victimes d’un scandale sanitaire comme celui de la Depakine dont Sanofi refuse de reconnaître la responsabilité. Il aura fallu le combat de Marine Martin et de l’APESAC pour faire reconnaître par la justice, le 6 janvier dernier, cette responsabilité, dans la quasi-indifférence des pouvoirs publics.
Des prix abusifs qui menacent la pérennité
de nos systèmes de santé et l’accès
Au titre du soutien public, il faut aussi compter le remboursement par l’Assurance maladie de médicaments au prix abusif. Le chiffre d’affaires cumulé entre 2004 et 2019 du Lantus, un produit phare de Sanofi, est par exemple de plus de 50 milliards d’euros. Or, le Lantus se compose d’un stylo d’injection développé grâce à l’argent de la recherche publique américaine et d’une forme d »insuline, hormone découverte il y a cent ans et offerte un euro symbolique par ses co-découvreurs qui voulaient en faire bénéficier l’humanité. Le prix que Sanofi en demande est abusif. Il contribue à menacer la pérennité de notre système de santé, et occasionne aux États-Unis et dans de nombreux pays des morts en nombre et une crise sanitaire majeure. Le musicien Bertrand Burgalat et son association Diabète et Méchant rappelle par exemple que l’insuline est vendue « à des prix exorbitants », ce qui les rend « inaccessibles aux pays pauvres ».
En 2013, la firme a été condamnée par l’Autorité de la concurrence pour des pratiques illégitimes visant à empêcher la commercialisation de génériques de son autre blockbuster, le Plavix. L’amende subie, 40,6 millions d’euros, est ridicule au regard du chiffre d’affaires que ces pratiques ont généré : près de 30 milliards d’euros entre 2004 et 2019. « Plavix est un cas d’école. C’était en 2008 le médicament le plus coûteux pour la Sécurité sociale, avec plus de 450 millions d’euros de remboursements. Avec l’arrivée des versions génériques, le gouvernement prévoyait 200 millions d’euros d’économies. (…) L’économie n’était finalement que de 163millions d’euros en 2010. La faute au taux de pénétration des génériques de Plavix, « inférieur de 10 points à l’objectif », note un rapport de la Sécurité sociale(PDF). », relate un article de France Info de l’époque.
Toute décision rationnelle sur une poursuite du soutien public à Sanofi devrait se fonder sur des données claires et complètes sur l’état actuel de ce soutien. Les pouvoirs publics sont-ils capables de les fournir ? C’est d’autant plus indispensable que ces chèques en blanc à la recherche dite privée se font au détriment d’une recherche publique asséchée, nous rendant plus vulnérables à de nouvelles menaces sanitaires, comme l’a par exemple rappelé en mars 2020 le virologue Bernard Canard à propos du COVID-19.
Une stratégie de R & D désastreuse pour l’emploi
Tout en bénéficiant d’aides publiques conséquentes, Sanofi a supprimé des postes de recherche. Entre 2006 et 2018, Sanofi a supprimé 3565 postes, dont 2814 consacrés à la recherche. Dans la même période, la firme a reçu près de 1 milliard 500 millions de CIR. Le collectif Les Sanofi, qui rassemble des employés critiques de la multinationale, a confronté sous forme de graphique la part des bénéfices reversée aux actionnaires et les suppressions de poste sur cette période.
En janvier 2021, comme le dénonce la CGT Sanofi, au front sur ces luttes depuis une décennie, Sanofi entendait encore supprimer 400 emplois dans la recherche.
Des pans entiers de recherche vitale abandonnés
Orientée vers le profit à court terme, la stratégie de recherche de Sanofi a abandonné des pans entiers pourtant essentiels de la recherche car jugés trop peu rentables : c’est notamment le cas des recherches sur la maladie d’Alzheimer, des maladies cardiovasculaires, la neurologie, la résistance aux antibiotiques, définie par l’OMS comme « l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale, la sécurité alimentaire et le développement. » qui « peut toucher toute personne, à n’importe quel âge et dans n’importe quel pays. » Sanofi ne répond donc pas aux besoins des populations en santé.
Comme le rappelle Thierry Blodin, de la CGT Sanofi, « Sanofi dans les vaccins comme dans la recherche de nouveaux médicaments ne veut investir dans de nouvelles approches que si d’autres laboratoires ont démontré que ces pistes donnaient des résultats, en fait Sanofi est toujours en retard. »
Le 13 février 2020, en réponse à une question orale à la ministre de la santé Agnès Buzyn, posée par la sénatrice communiste Laurence Cohen qui s’inquiétait de ces sacrifices par Sanofi, c’est le secrétaire d’État de l’action et des comptes publics qui répondait en soutenant la politique de la firme : « La recherche et développement est par nature un domaine qui nécessite une grande réactivité, et il n’est pas anormal qu’une entreprise comme Sanofi réajuste en continu ses priorités au regard de l’évolution de la médecine, mais aussi au regard des compétences dont elle dispose. » Parmi les domaines de recherche sacrifiés au nom de ce que le ministre LREM appelait « réactivité », se trouvaient les vaccins sur la famille des coronavirus.
En septembre 2021, Sanofi annonçait cesser le développement de son vaccin à ARNm contre le COVID-19, malgré des résultats prometteur en phases 1 et 2 des essais. La décision interroge sur les choix stratégiques de la firme qu’Emmanuel Macron entend encore plus financer. Mais elle interroge aussi par son caractère inéthique et sa motivation : comment accepter qu’on ait soumis des personnes au risque inhérent à des essais, puis qu’on arrête le développement non parce que le produit serait médiocre ou dangereux, mais parce qu’il ne rapporterait pas suffisamment ? Cet enjeu éthique ne semble pas du tout perçu par Emmanuel Macron.