Alors qu’une majeure partie des personnes souffrant de diabète dans le monde est privée d’insuline, la France se doit d’être motrice pour permettre un accès universel à ce traitement peu coûteux. C’est ce qu’affirme, dans une tribune au « Monde », un collectif, dont Vincent Ledoux, député du Nord, et Stéphane Besançon, directeur général de l’ONG Santé Diabète.
Tribune. Le Canadien Frederick Banting, né un 14 novembre en 1891, est, avec Charles Best, le codécouvreur de l’insuline. C’est donc tout naturellement que cette date anniversaire fut choisie pour célébrer la Journée internationale du diabète ! C’est à l’été 1921 que leurs travaux permettent la préparation d’insulines purifiées utilisables dans le traitement du diabète.
Il existe deux formes de diabète. Dans celui dit de type 1 (DT1), le pancréas ne produit plus, ou plus assez, d’insuline. Cette hormone permet de réguler la glycémie. Les patients doivent donc s’injecter de l’insuline tous les jours pour réguler leur glycémie et survivre. Il concerne 10 % des patients, touchant plus particulièrement les enfants, adolescents et jeunes adultes.
Le diabète de type 2 (DT2), dans lequel le pancréas produit encore de l’insuline, mais en quantité inadaptée et que l’organisme a du mal à utiliser, concerne 90 % des personnes atteintes par la maladie, et particulièrement les adultes de plus de 45 ans, sédentaires et en surpoids. Il est traité par des antidiabétiques oraux, mais l’insuline peut, là aussi, devenir nécessaire après des années d’évolution.
On pourrait donc légitimement penser que, un siècle après la première injection, le précieux traitement de Banting et Best est accessible à tous, en tout point de la planète. Mais il n’en est hélas rien ! Aujourd’hui, et sans compter les millions de personnes à risque, plus de 460 millions de personnes vivent au quotidien avec cette maladie qui, en l’absence de traitement approprié, peut être à l’origine de graves complications.
Deux ans seulement après la découverte de l’insuline, les chercheurs à l’origine de ce progrès scientifique majeur vendaient leurs droits de brevet pour seulement 1 dollar symbolique. Pourtant, cette hormone demeure aujourd’hui financièrement inaccessible pour une majorité de patients dans le monde. La France doit donc nécessairement être motrice, notamment au sein de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), pour permettre un accès universel à l’insuline.
Offre limitée et prix élevés
Cet accès se heurte à deux obstacles majeurs : l’offre limitée d’insuline et les prix élevés, ce qui a des conséquences, en particulier dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires. Selon une étude réalisée par l’OMS, à Accra, la capitale du Ghana, la quantité d’insuline nécessaire pour un mois coûterait à un travailleur l’équivalent de cinq jours et demi de salaire mensuel.
Selon les données recueillies entre 2016 et 2019 dans 24 pays situés sur quatre continents, l’insuline humaine n’est disponible que dans 61 % des établissements de santé, et les insulines analogues dans 13 %. Malgré le fait que la production de cette hormone ne comporte pas de difficulté majeure, en comparaison aux autres biomédicaments, elle se concentre sur trois fabricants, Sanofi, Novo Nordisk et Eli Lilly, qui contrôlent 96 % du marché mondial.
Ce faible nombre de fabricants aboutit à des prix élevés, excluant de fait beaucoup de personnes et de systèmes de santé. Pourtant, les coûts de production sont faibles et les brevets ont étécédés par les découvreurs de l’insuline il y a presque cent ans.
La France, pays de Pasteur, a su montrer ses ambitions au niveau international pour évoquer le sujet de l’accès universel à l’insuline. Les Etats membres de l’OMS, réunis au printemps à l’occasion de la 74e Assemblée mondiale de la santé, ont adopté une résolution historique, cosignée par la France, dans la lutte contre le diabète, et notamment pour l’accès à l’insuline. Il faut maintenant transformer cette résolution en actes concrets, pour permettre la survie des patients, mais aussi pour aider les pays en développement à définir et déployer leurs propres stratégies.
Le nombre de personnes atteintes par cette maladie chronique devrait augmenter de 51 % d’ici à 2045, selon la Fédération internationale du diabète. Il serait à l’honneur de la France et de sa belle ambition universaliste d’assumer le porte-parolat des millions de malades à travers le monde qui n’ont pas accès aux traitements nécessaires. Transformons les discours et cette résolution en actes concrets pour accroître les quantités d’insuline de qualité dans toutes les régions, en soutenant les initiatives de production locale, notamment à travers le programme de préqualification de l’OMS sur l’insuline humaine.
L’écrivain médecin Georges Duhamel prétendait que « le monde a deux histoires : l’histoire de ses actes, celle que l’on grave dans le bronze, et l’histoire de ses pensées… ». Il est temps de rendre l’insuline enfin accessible à tous.
Les signataires : Vincent Ledoux, député du Nord, auteur d’une proposition de résolution pour un accès universel à l’insuline, déposée à l’Assemblée nationale le 14 avril ; Stéphane Besançon, directeur général de l’ONG Santé Diabète ; Pauline Londeix et Jérôme Martin, cofondateurs de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds) ; Bertrand Burgalat, artiste et président de l’association Diabète et méchant.