Vendredi 21 mai, Emmanuel Macron a annoncé qu’il attendrait fin 2021 pour définir la position française sur la levée des barrières de propriété intellectuelle sur toutes les technologies concernant le Covid-19. Il compromet ainsi l’adoption à court terme d’une mesure nécessaire pour sauver des vies et en finir avec la pandémie.
Cette mesure est prévue par l’article IX des accords de Marrakech constituant l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Elle est donc conforme au droit international. Elle est demandée depuis début octobre 2020 par l’Afrique du Sud et l’Inde, soutenue ensuite par une centaine de pays, dont récemment les États-Unis. Dans les prochaines semaines, les instances de l’OMC doivent examiner à nouveau la demande et l’unanimité est nécessaire.
Alors que huit mois ont déjà été perdus, en reportant sa décision à octobre, Emmanuel Macron joue la montre pour continuer à bloquer une mesure demandée par une majorité de pays à l’OMC et ôte ainsi toute possibilité que cette mesure soit adoptée à court-terme. C’est une faute morale majeure et irresponsable.
La levée des barrières liées à la propriété intellectuelle est indispensable pour augmenter la production, se réapproprier les produits pharmaceutiques financés grâce à l’argent public et contrôler leurs prix. La capacité de production est là, mais les détenteurs de brevets refusent d’accorder les autorisations pour qu’elle soit utilisée. Lever les brevets permettraient à des sites de production, prêts depuis des mois, d’apporter leur contribution : c’est le cas du laboratoires Téva en Israël (un des plus gros producteurs de génériques au monde), de Biolyse au Canada ou d’ Incepta au Bangladesh et de nombreux autres en Inde, en Thaïlande, au Brésil, etc.
Si la levée des brevets avait été votée dès octobre, la capacité de production mondiale aurait été largement augmentée. Le transfert de technologie n’est pas insurmontable : l’année dernière, il avait fallu seulement deux mois au laboratoire Lanza, mandaté par Moderna, pour produire ses premières doses.
Emmanuel Macron oppose à cette mesure l’initiative COVAX et des partages volontaires de licence. Mais COVAX a montré ses limites et les exemples de Teva, Biolyse ou Incepta montrent la mauvaise volonté des détenteurs de brevets à partager. Quand elles aboutissent, les initiatives volontaires sont des écrans de fumée, dans la mesure où elles n’augmentent pas réellement la concurrence. Il s’agit de sous-traitances et d’accords commerciaux entre firmes, ce qui revient à maintenir une concentration du marché. Ces accords ne résoudront donc pas la très problématique question de l’augmentation unilatérale des prix des vaccins par les multinationales, et les producteurs « non autorisés » pour différentes raisons commerciales ne pourront pas produire.
Le président de la République oppose par ailleurs à la levée des brevets une politique d’exportations. Or, exporter et supprimer les entraves à la propriété intellectuelle sont des mesures qui ne s’opposent pas, mais se complètent. Interdire les exportations de vaccins est tout aussi attentatoire au droit à la santé que refuser de lever les brevets. De plus, en quoi la seule injonction à l’exportation serait-elle efficace contre l’apartheid vaccinal si la production mondiale est insuffisante et que la loi de l’offre et de la demande garantit aux pays riches la priorité ? Enfin, penser une stratégie de vaccination mondiale sur la base exclusive des exportations par les pays riches, c’est faire croire que seuls ces derniers seraient capables de produire des vaccins de qualité et que les pays pauvres dépendraient de leur générosité. C’est travestir la réalité de la production pharmaceutique mondiale, et c’est substituer au droit la santé la seule charité.